Comme promis, voici notre première séquence d'initiation au latin. Elle est fort simple, ne requiert aucun pré-requis - l'enfant doit savoir quand même lire le français de façon fluide, de manière à ne pas être perturbé par les règles de prononciation latine.
Objectif de la séquence : savoir lire un texte latin authentique.
C'est un objectif très valorisant : on a l'impression de maitriser la langue quand on sait la lire, hein ? En début d'apprentissage, on a intérêt à booster la confiance en soi de l'apprenant, c'est donc la porte d'entrée idéale.
C'est aussi un objectif simple : le latin est mille fois plus facile à lire que l'anglais, par exemple - à vrai dire, il est beaucoup plus facile à lire que le français !
C'est enfin un objectif clairement ciblé par les Programmes. Je cite le premier "Attendu en fin de cycle" : "Savoir lire un texte latin". On est dans les clous, et ça, ce sera fait. 😉
Au passage, l'enfant rencontre et mémorise un premier bagage lexical, qui sera réinvesti dans les séquences ultérieures.
Je me suis largement appuyée sur CET ARTICLE du blog Arrête ton char, merci à ce professeur de partager son travail ! ❤
Introduction
Pour commencer, on regarde cette courte vidéo en famille. Ça ne mange pas de pain, c'est ludique, et ça pose les balises pour la suite.
Séance 1 : L'évolution de l'alphabet
Oh, le beau document ! (Clic-clic sur l'image pour l'enregistrer et l'imprimer 👆). C'est l'avantage de n'avoir qu'un seul élève : on peut se permettre une photocopie sur fond noir, avec touches de couleurs, s'il vous plait !!
Ce feuillet est le premier du porte-vue de latin du Damoiseau : je voulais qu'il soit beau - qu'il pète un peu. 😉
On l'observe en douceur : il est vraiment fascinant, ce document. On suit du doigt l'évolution de chaque lettre, c'est assez drôle.
Le terme "protosinaïtique" n'est pas à retenir : expliquez simplement à votre enfant qu'il s'agit d'un des plus anciens alphabets connus. C'est aussi le "père" de la plupart des alphabets utilisés aujourd'hui, en particulier du nôtre (latin moderne) ! Votre enfant s'amusera à constater que les lettres de cet alphabet sont en réalité des petits dessins, des pictogrammes, qu'il pourra s'amuser à identifier librement (plusieurs interprétations sont possibles !).
L'alphabet phénicien est plus connu. Votre enfant n'a pas besoin de rédiger une thèse à son sujet, mais vous pouvez lui glisser qu'il avait court au Proche Orient, et qu'il incarne une évolution majeure : la lettre s'abstrait du dessin, elle est plus rapide à tracer. Elle devient code. Code secret, en quelque sorte, oui, oui ! 😊
Du phénicien, on passe à l'alphabet grec, l'origine de tous les alphabets modernes. Les étrusques (les italiens d'avant la fondation de Rome), dans leur admiration sans borne pour la culture grecque dominante, l'adopteront ... le modifieront ... pour fixer l'alphabet que nous utilisons aujourd'hui.
Restez soft sur l'histoire de l'alphabet. Inutile de noyer l'enfant sous un monceau d'informations techniques (il est vrai : le sujet est en réalité assez technique !). L'idée est qu'il visualise le fait que notre alphabet moderne est :
1. Le fruit d'une évolution, d'une histoire.
2. Un alphabet latin au sens plein.
Pour clore cette petite observation (qui n'aura duré que quelques minutes !), demandez à votre enfant d'écrire son prénom dans un des alphabets présentés. Il peut les graver sur une tablette d'argile, "à la romaine". L'argile de potier est très agréable, mais fragile après séchage quand on ne dispose pas de four spécifique. Si l'enfant souhaite garder son œuvre, proposez-lui une pâte auto-durcissante. Mais il peut aussi opter pour un autre médium de son choix : dessiner, peindre, réaliser un porte-clef à son nom sur du plastique fou ... Tout est possible !
Antonin s'est senti l'âme étrusque, et a choisi de rédiger son prénom dans un mélange de grec archaïque et de latin archaïque :
Louiselle a opté pour une version bilingue : elle a transcrit son prénom en protosinaïtique, puis en phénicien :
Des trous ont été percés au stylet ; les plaques réalisées pourront ainsi être fixées à la porte des chambre des enfants.
Ne les dirait-on pas tout droit exhumées de la Haute Antiquité ? 😊
Séance 2 : Les règles de prononciation
Ah, le premier cours proprement dit (Clic-clic sur l'image pour l'enregistrer et l'imprimer 👆).
Que fait-on avec cette première leçon ? On la lit. A haute voix.
Et on constate que c'est très simple. 😊
Les mots latin que l'enfant se met en bouche ne sont pas choisis au hasard. Il les retrouvera à la séance suivante - et aura déjà l'impression de connaitre quelques mots.
Zoom sur une expression latine : c'est le petit encadré-là, vous voyez ? But du jeu : rencontrer une phrase latine authentique en une minute chrono - c'est une petite récréation de fin de séance.
Que lit-on ? Canis meus id comedit. N'est-ce pas incompréhensible ? Mais regardons d'un peu plus près. L'enfant peut déjà identifier un mot dans tout cela : canis, le chien, qui a donné le mot français "canin" et tous ses dérivés. Il est question d'un chien, donc. Un autre indice ? "Meus" ? Oui, il s'agit de "mon chien", dans cette histoire. Et c'est drôle, hein : l'ordre des mots en latin n'est pas le même qu'en français, tiens, tiens.
Qu'a-t-il fait, mon chien ?
Accordez un indice à votre enfant : le verbe, en latin, est souvent placé en fin de phrase ... Décidément, l'ordre des mots n'est pas le même (tiens, tiens). "Comedit", hum ? Qui ressemble fort à "comer" en espagnol ... Oui : "manger" ! "Mon chien ... manger". Votre enfant a saisi l'idée.
Donnez la traduction exacte : "Mon chien l'a mangé". C'est une excuse classique : tu n'as pas fait ton devoir maison et il faut le rendre aujourd'hui à ton professeur ? Canis meus id comedit, mon chien l'a mangé. Personne n'y croit, mais c'est pratique, car invérifiable ! Les latins utilisaient cette excuse, qui est devenue une expression teintée d'ironie : "Oh, mon discours pour le sénateur ? Désolé, mon chien l'a mangé !"
C'est une expression très utile, n'est-ce pas ? 😊
N'hésitez pas à la réinvestir largement à la maison, je suis sûre que les occasions ne manqueront pas ! Elle se gravera ainsi dans l'esprit de votre enfant et servira d'exemple type quand on abordera le parfait, les articles possessifs, les pronoms COD et autres joyeusetés. 😏
Séance 3 : Bestarius unus
On commence cette séance par la découverte d'un petit mémory ...
Je sais : je vous saoule avec mes mémorys sur ce blog depuis quelques temps ... 😞
Mais que voulez-vous, je les trouve géniaux pour mémoriser le lexique. Quand l'enfant découvre une langue étrangère, ils sont un peu l'équivalent des cartes de nomenclature de quand il était petit ... ❤
Il est copieux ; n'imprimez que la première page si votre enfant est petit. Antonin, 11 ans, peut ingurgiter une certaine quantité de vocabulaire, qui lui servira de base dans la prochaine séquence, quand il faudra ranger chaque mot dans sa "maison des déclinaisons". Mais je ne divulgache, pas, hein ! 😁
Pourquoi commencer par le lexique des animaux ?
D'abord, parce que les animaux, c'est affectif. Rien de tel qu'un petit canis ou qu'une gracieuse unicornis pour happer mes enfants (et en particulier ma Damoiselle). Ensuite, parce qu'il s'agit d'un lexique véritablement utile. Les animaux sont au centre de la vie domestique et économique de nos ancêtres latin, certes, mais ils n'hésitent pas aussi à se donner des noms d'oiseaux - que l'enfant rencontrera, au détour même de textes très sérieux ! Le latin est une langue fleurie, bourrée d'insultes délicieusement métaphorées : canis ! Mus ! Bufo ! Sans compter tous les proverbes et expressions toutes faites - "L'aigle ne prend pas les mouches" (Aquila non capit muscas), "Le chien ne mange pas le chien" (Canis caninam non est), "Disserter de l'ombre d'un âne" (De asini umbra disceptare) ...
En somme, ce lexique animalier me parait un bon investissement, à utiliser au sens propre et au figuré !
Quel que que soit l'âge de l'enfant, ne lui soumettez pas tout le mémory d'un coup. Lors de la première séance, il rencontre 14 mots - ceux qui figurent sur le document ci-dessus👆. Il met en paire : ces mots ont déjà été rencontrés dans la leçon de la séance précédente. Il met en bouche (n'oublions pas que notre objectif est d'apprendre à LIRE le latin !). On termine par une petite partie de mémory.
Pour conclure la séance et "fixer" les acquis, donnez la fiche ci-dessus👆 (CLIC sur l'image pour télécharger), que l'enfant complète. Antonin a choisi de cacher les légendes avec une feuille de brouillon, et a rempli un maximum de cases de mémoire. Il a ôté le cache pour compléter ce qu'il n'avait su retrouver tout seul.
Séance 4 : Bestarius duo
L'enfant découvre la suite du mémory : 15 mots nouveaux, qui sont pour la plupart transparents. Il met en paire, joue au mémory et complète la fiche. Son cahier se remplit. 😏
N'hésitez pas, dans les jours qui suivent, à proposer une méga-partie de mémory-révision, avec tous les mots rencontrés (29 au total, déjà !).
C'est le bon moment pour proposer une petite dictée en latin ! Voilà qui fait sérieux, n'est-ce pas ? Et comme les mots s'écrivent comme ils se prononcent, c'est très facile ! Il faudra se mettre quelques particularités orthographiques dans les doigts (le H de elephantus, le doucle C de vacca), mais rien de bien sorcier.
Séance 5 : Bestarius tres
Même déroulé : l'enfant découvre une nouvelle série de noms, plus courte, mais plus difficile. Il met en paire, oralise, joue au mémory, remplit la fiche. Il lui faudra chercher certains mots dans le dictionnaire - j'ai quand même inséré quelques noms "transparents" dans cette série pour ne pas décourager.
C'est le premier contact avec le dictionnaire latin, qui sera un outil central dans notre séquence 2, "Une langue à déclinaisons" ! (Retrouvez ma programmation ICI)
N'hésitez pas, dans les jours qui suivent, à proposer une méga-partie de
mémory-révision, avec tous les mots rencontrés (40 au total, déjà !).
Séance 6 : Oralisation d'un texte latin
Roulement de tambour ... L'enfant est prêt pour lire son premier texte en latin !
Replacez rapidement ce texte dans son contexte : il s'agit d'une fable - une histoire courte et moralisatrice que les hommes de l'Antiquité goûtaient fort. Elle est écrite par Phèdre, grand fabuliste du Ier siècle - un recueil est d'ailleurs une excellente idée de petit cadeau, avis à toutes les petites souris qui ne sauraient pas quoi glisser sous l'oreiller en échange de la prochaine canine ! 😉
Il s'agit d'un texte authentique, voilà qui est vraiment cool ! Votre enfant, en l'oralisant, peut imaginer qu'il le déclame devant une assemblée de barbus en toge. Ils auraient été subjugués par sa prestation, si, si !
Évidemment, l'enjeu n'est pas de comprendre le texte - à ce stade, c'est impossible. L'enfant prend connaissance de la traduction, et s'amuse de voir qu'il connait un mot clef : "canis". Avec un peu d'imagination, il peut même supposer le sens de fluvium, carnem, simulacrum, avidatas et même alienum (il est intéressant, celui-là !). Si cette pêche au sens l'amuse, encouragez-le ; et si ça l'ennuie, laissez tomber. L'objectif n'est pas là, il pourra y revenir plus tard, lorsqu'il se sentira plus compétent.
Les plus motivés peuvent s'enregistrer en train de lire (et faire écouter la production à Mamie, parce que : c'est la classe !)
Bilan : test de connaissance en ligne
La séquence se termine comme elle a commencé, et comme elle s'est poursuivie : de manière ludique.
ICI toujours, vous trouverez un petit test de connaissance interactif qui repasse tout ce que l'enfant a appris : il associe les sons aux signes de l'alphabet latin, il retrouve l'orthographe de noms latins d'animaux, et il orthographie, sous la dictée, quelques noms d'animaux latins connus.
Prolongez ces révisons par petites touches : dans la semaine, proposez une maxi-partie de mémory (avec une partie des cartes ou le jeu complet), invitez votre enfant à relire la fable travaillée et à écrire quelques mots appris sous votre dictée. Car quand on sait lire le latin, on sait aussi l'écrire, ouaouhh !
Et voilà : de fil en aiguille, en 7 séances, votre enfant est devenu ... un petit latiniste ! 😍
Elle est pô belle, la vie ? ❤
Civilisation
Jetons un œil pour finir sur les deux livres qui nous accompagnent durant cette première séquence. Tous deux proposent une immersion dans la vie quotidienne des Romains (famille, cultes, divinités).
1. Ainsi vivaient les enfants est un livre de mon enfance, que j'aimais beaucoup malgré mon peu d'intérêt pour les documentaires. Ici, l'Histoire est racontée comme une histoire, c'est bien documenté, finement illustré, et bien que ce livre ne date pas d'hier, je n'y ai trouvé aucun contre-sens. Je suis tellement heureuse de le partager avec mes enfants ! La toute-première photo du présent article vous offre un aperçu d'une de ses pages.
2. L'affaire Caïus : nous le possédons, par un curieux hasard, en double exemplaire ... ce qui permet à chaque enfant de lire le sien ! Une enquête policière menée par des enfants dans la Rome Antique : voilà qui suffit à aiguiser l'appétit. Mais j'ai mieux encore. Vous souvenez-vous de l'insulte qui déclencha l'affaire ? Oui, oui, on attribue à Caïus un nom d'oiseau (ou presque). Caïus est un âne, et c'est de l'or en barre pour le pédagogue. D'abord parce Henry Winterfield s'appuie sur une inscription véritable, tracée par une main enfantine sur les murs d'un temple de Pompéi au Ier siècle après J.C. Ensuite, parce mes enfants devraient être capables de traduire cette insulte en latin tout seuls, dès la fin de notre première séquence. Je reviendrai vous dire s'il ont réussi, mais je sens que nous allons traiter Caïus de tous les animaux possibles lorsque nous aborderons l'attribut du sujet en séquence 3 ! 😁
J'espère que cette petite séance vous a plu. Notez qu'elle peut être réalisée de manière "décrochée", comme une petite initiation de curiosité, même si l'enfant n'a pas envie de s'investir dans le latin par la suite.
Mais moi, j'ai décidé : quand je serai grande, je serai latiniste ! (Et aussi cosmonaute, jardinière-survivaliste et chat réincarné.)
Prenez soin de vous ! 😘
Je ne poste pas souvent de commentaire, même si je lis toujours avec grand intérêt et plaisir chaque nouvel article, dont nous nous inspirons bien souvent (nous sommes en IEF)... Mais cette fois, il faut vraiment que je vous dise merci !! Ma grande de 10 ans, passionnée d'Antiquité, me parle justement d'apprendre le latin et je ne savais pas trop comment m'y prendre... Problème résolu :-)
ReplyDeleteC'est tout simplement magnifique. Mon fils qui a des difficultés scolaires a commencé le grec, cette année, et en helléniste passionnée, je pensais qu'il prendrait au jeu mais il se décourage déjà. Si seulement ses séances de travail au collège étaient aussi ludiques que celles que vous proposez... (Je vais voir ce que je peux faire pour l'accompagner en m'appuyant sur votre exemple mais sachant qu'en vous lisant, je suis désespérée par mon manque total de pédagogie.)
ReplyDeleteSalut Elsa
ReplyDeleteComment ça va ? j'espère que tout va bien chez vous !
Je t'informe que je reçois bien les notifications des tes nouveaux articles sur ma boite mail.
A très bientôt :)
Quel programme appétissant ! Les mémory sont une super idée et je trouve assez impressionnant de voir l'ampleur du vocabulaire qu'ils permettent de maîtriser. Ca donne envie de faire des parties de memory en tant qu'adulte.
ReplyDeleteJ'espère que l'affaire Caïus plaît à tes petits latinistes.
Pour ajouter de l'eau à ton moulin : s'ils se prennent à l'habitude de lire le latin à haute voix (et après tout c'est ainsi que les latins lisaient tout court, c'est toujours intéressant de se souvenir que pendant longtemps on lisait de préférence à haute voix et pas du tout silencieusement), ils auront peut-être envie de s'inscrire à la lecture publique en mars de l'éneide du festival européen latin grec : https://festival-latingrec.eu/12990-2/
Au-delà de la lecture publique, il y a souvent un programme très appétissant de pièces de théâtre/concert/spectacles/conférences.
Miam ! J'ai hâte de voir ce que les séquences suivantes réservent.
J'adore, ici aussi nous avons adopté les mémorys (j'avais imprimé tes versions espagnol, et mon fils m'a du coup demandé de lui faire celui sur le matériel scolaire :)) tiens d'ailleurs je devrais le mettre sur le blog :p)
ReplyDeleteJe te pique ceux sur le latin, j'adore !
Les animaux (avec les couleurs) sont bien souvent les premiers mots que l'on apprend à nos enfants, je trouve sympa alors que ce soit aussi les premiers mots dans une langue étrangère.
Merci pour ton fichier. ;)
Coucou Elsa.
ReplyDeleteMon fils a malheureusement décroché du latin au collège suite à un professeur pas très intéressant. :/
Du coup je lui ai proposé tes séquences et il a adoré.
Je me demandais si tu prévoyais te poster tes séquences suivantes ?
Par avance merci :)
Bonsoir, avez-vous créé d'autres séquences ? Ma fille veut découvrir le latin et avec Bébé je n'ai pas l'énergie de me lancer dans autant de préparation 😅
ReplyDeleteBonjour Elsa,
ReplyDeleteJ'ai adoré faire cette séquence avec mes enfants de 10 et 12 ans l'année dernière. Si vous avez le temps de poster la suivante, vous ferez des heureux!