Quel est le propre de la vie, d'après vous ? 😉
Moi, je répondrai : c'est le changement. La seule chose dont nous soyons sûrs, c'est que ce que nous vivons en ce moment (sensations, sentiments, préoccupations, activités ...) aura une fin, et évoluera en autre chose. Le changement, qu'il soit physique ou comportemental, est la base du vivant - et donc de nos êtres, humbles humains que nous sommes.
Mais les humains, sous leur arrogance de surface, sont en réalité des êtres fragiles face au changement. Le changement les menace dans leur intégrité et les effraie - l'Homme n'aime pas "lâcher", et de ce fait, se débat beaucoup inutilement. Pour s'aider lui-même à vivre le changement nécessaire et constitutif de la vie, l'Homme a inventé un truc formidable : le rite de passage, qui célèbre et l'autorise à jouir de chaque changement majeur lorsqu'il survient. Célébrer et jouir, au lieu de résister vainement ! Vous ne trouvez pas que c'est une de nos plus belles inventions, et la plus utile ?? 😊
Les rites de passage émaillent notre vie car nous ne cessons d'être confrontés au changement. Mais c'est évidemment à l'adolescence qu'ils sont le plus significatifs : l'obtention du baccalauréat, du permis de conduire, ou l'ouverture du premier compte bancaire, ne sont-ils pas des rites initiatiques modernes ? Il me semble que oui. Et je songe qu'en grandissant, l'enfant doit endosser divers rôles sociétaux exigeants et complexes. N'est-il pas vital pour eux que nous les aidions à les modéliser dans de petits rites de passage ?
Après avoir reçu le mail de Marie, retranscrit ICI, j'ai pas mal lu sur les rites d'initiation, et j'ai découvert qu'ils comportent tous trois étapes principales :
1. La séparation : l'individu se sépare de l'environnement familier.
2. La transition : le participant perd son ancienne identité, sans en construire de nouvelle encore. C'est une période de confusion et d'isolement, que le rite représente toujours symboliquement d'une manière ou d'une autre, pour aider l'individu à la traverser.
3. L'incorporation : l'individu sort de sa période de transition pour être intégré dans sa nouvelle communauté, sous une nouvelle identité.
Hier, nous avons vécu une journée formidable : nous avons concocté à Antonin un rite de passage sur mesure, dont il sortit collégien. Ce fut très simple, et très très fort à la fois, et je me suis aperçue que les trois étapes décrites précédemment était bien présentes dans le déroulé ! 😊
Je vous raconte ?
1. Le réveil en fanfare
Au saut du lit le matin, je me suis glissée dans la chambre de Louiselle. Nous nous sommes déguisées grossièrement (hop, un tissu coloré noué sur les épaules !) et nous avons choisi de petits instruments de musique : sifflets, maracas, triangles ... Nous nous sommes mise à faire du bruit !, et nous avons fait irruption dans la chambre d'Antonin. On s'époumonait dans nos sifflets ! On secouait nos maracas ! On tournait autour du Damoiseau estomaqué façon "danse tribale" !! Il était aussi surpris que ravi, et lorsqu'il y eut le premier tout petit silence - le temps que nous reprenions notre souffle - il s'est écrié : "Et bien, je ne m'attendais pas à ça !".
Je lui ai ensuite annoncé solennellement qu'aujourd'hui serait un grand jour : ce soir, il se coucherait collégien !! A condition, bien sûr, de remporter toutes les épreuves que nous lui avions préparées ... 😉
2. Le trajet jusqu'au collège
Génial : Papa avait acheté des viennoiseries à la boulangerie, et le petit déjeuner nous attendait lorsque nous descendîmes - Louiselle et moi, toujours en mode "groupies fofolles", avec nos capes et nos sifflets.
Après le petit déjeuner, tous à vélo, direction le collège ! Nous avions déjà fait la route domicile-collège à pied la semaine dernière, histoire qu'Antonin s'imprègne de la route, et que nous sachions le temps que cela lui prendrait. En théorie, il n'aura pas à faire la route à pied, mais sait-on jamais ? Je préfère qu'il sache le faire, cela me semble important. Bilan : il faut quarante minutes pour relier la maison au collège à pied. Ce qui prouve que ce n'est pas le bout du monde.
Et à vélo, la durée du trajet tombe à 20 minutes. Ce fut une chouette balade en famille, et on n'a pas oublié de faire un selfie mémorable devant le portail désert ! 😁 Cependant, la petite excursion nous a éclairés, nous les parents, sur le fait que le vélo n'était pas le moyen de transport idéal pour la faire. La rue principale de la commune du collège est très étroite et très très passante, et puis Antonin doit emprunter un souterrain qui suppose qu'il porte son vélo sur un long tronçon. Bref : il se peut fort que notre Damoiseau reçoive une trottinette pour Noël ... 😉
Encore une fois, Antonin n'aura pas, normalement, à faire ce trajet, puisqu'il prendra le car. Mais il était important pour nous de relier symboliquement la maison au collège avec des moyens à sa portée. Si Antonin sait rentrer, il ne sera jamais perdu. Je ne serai pas étonnée que dans quelques années, il souhaite rentrer tout seul, soit pour arriver plus tôt, soit pour s'aérer un peu l'esprit après sa journée de cours.
Vous avez vu : c'est la première étape du rituel, la séparation, qui induit un mouvement hors de sa zone de confort, hors de son chez soi. Les premières fois, Antonin aura fait le trajet avec nous. Maintenant, il peut, s'il le souhaite ou s'il le doit, faire le chemin tout seul.
3. Le rituel en 5 manches
De retour à la maison, Antonin est très impatient de commencer à relever les épreuves que nous lui avons préparées !
Je lui explique que le jeu se déroulera en 5 manches. Chacune de ces manches comporte trois étapes :
1. Un défi d'adresse physique, un "exploit reconnu de tous" !! 😄
2. Un quiz concernant la vie au collège.
3. Un avantage - illsutrant la frontière symbolique entre le petit qui ne peut rien faire et le grand qui a tous les droits (Ni l'un ni l'autre n'existe en vrai, nous sommes bien d'accord !! 😄)
PREMIÈRE MANCHE
A. Le défi physique : L'épreuve du self
Mes enfants n'ont jamais mangé à la cantine, et il est bien évident que c'est là une grande nouveauté pour Antonin ! Impossible de ne pas marquer le coup !
Louiselle et moi installons rapidement, sur la table du jardin, une sorte de self-service - on dispose tout un tas d'assiettes et d'ingrédients factices. Antonin est invité à "entrer", à prendre un grand plateau ("Et qu'est-ce qu'on dit ? Et oui, on dit bonjour au personnel, voilà ..."), et à se servir. Mais Louiselle et moi sommes deux dames de cantine très généreuses. Très très généreuses. On le trouve un peu maigre, ce Damoiseau, voyez-vous. On remplit son plateau jusqu'à le faire déborder : "Reprends donc du fromage, mon petit, et encore une autre part ! Aujourd'hui, y a du rab' !! Tu veux plus de fruits ? Si, tu veux ! Prends, prends, n'hésite pas !! Prend carrément toute la pile de verres, au cas où tu aies très soif !! Et toutes les fourchettes !!" Antonin, d'abord ébahi, joue rapidement le jeu ... et se doute de la suite.
Et oui, à présent que le plateau est bien lourd, il va devoir le porter jusqu'à la table du réfectoire, où l'attendent ses copains ... Mais pour y parvenir, nous lui avions installé un petit parcours d'obstacles : passer dessus, dessous, enjamber, contourner ... Le tout avec le plateau dans les mains et sans rien faire tomber, bien entendu.
B. Le quiz :
L'idée n'est pas de mettre Antonin en difficulté, vous l'avez compris ! Mais plutôt de le faire rire, de dédramatiser, et de lui prouver qu'il sait beaucoup de choses sur son nouvel environnement.
À chaque bonne réponse, Louiselle lui applique un bouchon de liège carbonisé (et refroidi !) sur le visage. Ce joyeux barbouillage permet d'illustrer symboliquement la phase 2 du rituel, celle de la confusion : Antonin porte sur son visage des traces qui ne sont pas admises socialement, d'ordinaire. Il est différent et isolé - enfin, jusqu'à ce que Louiselle craque, et décide de se barbouiller, elle aussi. 😏 Forcément, c'était trop tentant.
C. L'avantage :
DEUXIÈME MANCHE
A. L'épreuve physique : Antonin doit dégommer trois fois une bouteille en plastique à l'aide d'un arc et d'une flèche.
Il a droit à un nombre illimité d'essais - le but de la journée, c'est de le mettre en situation de réussite ! Mais une fois qu'il a pris le coup, il enchaine les succès. C'est beau de voir la bouteille voler sous le coup : une belle allégorie de sa puissance ... en puissance. 😉
B. Le quiz ...
C. L'avantage
TROISIÈME MANCHE
A. L'épreuve physique : Il est midi et nous déjeunons. À la fin du repas, j'explique à Antonin qu'il n'aura pas de dessert ... parce que l'épreuve suivante EST le dessert !!
Il s'agit d'un blind test : sauras-tu reconnaitre le nom des barres chocolatée les yeux fermés ?
Bon, forcément, on veut tous jouer ! Il n'y a pas souvent de friandises de ce type chez nous, pas question de s'en priver !!
Une fois le chocolat en bouche, le testé a les yeux débandés. Le testeur garde en main le papier d'emballage, bien caché, qui servira à vérifier la réponse. Un chocolat de chaque sorte est laissé sur la table : alors, à ton avis, lequel est celui que tu es de train de déguster ?
B. Le quiz
C. L'avantage :
Oh joie de l'enfant qui n'a "que" un euro par semaine ! 😄
Cinq euros d'un coup, c'est du jamais vu, et c'est le début de la richesse ! 😄
QUATRIÈME MANCHE
A. L'épreuve physique : Le collège d'Antonin a un nom - disons qu'il s'appelle Jules Ferry, même si ce n'est pas cela. 😉 Je voulais que le Damoiseau ait quelques repères culturels concernant ce personnage, et nous commençons le défi par un petit débriefing : que sais-tu de ce Monsieur ? Quel était son métier ? En quelle époque a-t-il vécu, à ton avis ? Etc. Je complète ses connaissances par quelques faits biographiques marquants, et j'offre solennellement au Damoiseau un livre de (ou sur) Jules Ferry - ou sur le Général de Gaulle, ou de Jacques Prévert ... Mais vous avez compris l'idée.
L'épreuve est la suivante : Antonin doit choisir une page, et nous la lire en la déclamant, avec tout le sérieux et l'emphase de circonstance. La prestation est filmée.
Et bien, je pensais que mon Damoiseau serait intimidé, mais pas du tout ! 😄 Où est passé mon garço si réservé ? Il s'est pris au jeux, on ne parvenait plus à l'arrêter - et sa sœur a voulu révéler le défi, elle aussi. (Après tout, ce collège sera aussi le sien dans deux ans ...)
B. Le quiz
... et les tâches ...
C. L'avantage :
CINQUIÈME MANCHE
A. L'épreuve physique : nous demandons très simplement à Antonin de refaire le parcours d'obstacle de la première manche - mais il tient une cuillère dans la bouche, avec une balle de ping-pong en équilibre qu'il s'agit de ne pas faire tomber. (Quelques bonus sont accordés en cas de chute) (En fait, tous les bonus du monde sont accordés, il ne s'agit évidemment pas de mettre l'enfant en échec !!)
Et puis, Louiselle veut le faire aussi. Deux fois. Cela devient une habitude. 😏
B. Le quizz
C. L'avantage :
Y'a plus qu'à décoder, c'est facile ...
Dans son cartable, Antonin découvre, entre son agenda et sa trousse : le Guide du collège d'Okapi, un jeu de clefs de la maison, un portefeuille contenant sa carte de transport et sa carte de médiathèque, et son MP3 rechargé de musique toute neuve - dont une playlist "spécial collège".
C'est la troisième étape de notre rituel : l'individu revêt les attribut propres à son nouveau groupe, et, à travers eux, sa nouvelle identité. ❤😄
4. Le grand saut
Directement emprunté au rituel de Marie, voici le clou du rite de passage, qui clôt notre célébration : le grand saut du CM2 au collège !! Qu'Antonin a effectué plusieurs fois, histoire d'être sûr ... 😉
Et bien sûr, Louiselle a sauté du CE2 au CM1, il n'y a pas de raison, hein !! 😂
La boucle est bouclée : nous comptons désormais un collégien dans notre foyer. C'est un grand honneur ! 😊