Plusieurs des mails reçus ces derniers mois portaient sur une même question, et plutôt que de répondre à chacun individuellement, je propose une analyse collective, en espérant que cela parle à d'autres familles et ouvre le dialogue ! 😊
Je reçois :
"Notre fille unique de 7 ans a toujours été "pot de colle". J'ai certainement aggravé le problème en jouant beaucoup avec elle - c'est ma seule enfant ! Mais elle n'arrive pas à s'occuper seule et je suis sans cesse sollicitée. Cela me pèse, mais j'ai l'impression qu'il y a pire depuis quelques semaines : elle commence à devenir plus autoritaire, voire irrespectueuse envers mon mari et moi. Je me demande si ce n'est pas parce que nous faisons toujours ce qu'elle veut ?"
"J'ai toujours beaucoup jouer avec mon enfant. Pour moi le temps passé avec mon fils (aujourd'hui 5 ans) est sacré (je travaille à temps plein) et j'organise nos moments à deux pour qu'il soient les plus heureux possible. Mais je suis en plein burn out : mon fils s'est habitué à être diverti par sa Maman, il hurle quand je lui demande de jouer un peu tout seul à côté de moi en me disant qu'il ne sait pas faire. Il ne supporte pas de faire une activité (dessiner ...) sans que je la partage avec lui. "
"'En ce moment, j'ai de grosses difficultés avec mon aînée de 4 ans. Elle ne nous lâche pas deux secondes. Elle ne veut pas comprendre quand on lui dit qu'elle doit jouer seule un moment parce qu'on est occupé. Quand je dois préparer le diner, m'occuper de sa petite sœur de 7 mois ..., elle se met à pleurer en hurlant. J'ai toujours beaucoup joué avec elle, mais là je n'ai même plus envie tellement elle m'épuise d'être aussi exigeante avec nous, aussi impolie aussi ..."
"Il n'arrête pas, toute la journée, de nous demander : "Qu'est-ce qu'on pourrait faire, Maman ? ", "Je m'ennuie", "Papa, je ne sais pas quoi faire ..." Les blogs éducatifs disent que l'ennui est génial pour booster la créativité des enfants, mais je n'en peux plus ! Et je ne vois pas sa créativité boostée ! Il n'arrête jamais de nous solliciter, même après une grande partie de foot ou une randonnée. Je ne peux plus rien faire pour moi."
Examinons la situation.
D'abord, stop la culpabilité !! Non, être "pot de colle" n'est pas un "problème", et encore moins un problème aggravé par l'attention que l'on accorde à un enfant. La culpabilité est souvent le premier sentiment, le plus spontané peut-être (en particulier chez les mères !) quand nous constatons un écart entre ce qu'est notre vie de famille et ce que nous voudrions qu'elle soit ...
Plutôt que de nous faire des reproches, regardons le bon aspect dans cette situation. Tous ces témoignages révèlent une relation parents-enfants de grande qualité et un fort attachement réciproque. Comme c'est précieux ! Prenez le temps de vous féliciter d'avoir construit cela ! ❤
Après ce petit baume au cœur, considérons la situation objectivement : que l'enfant soit en demande permanente n'est pas en soit un défaut. Certes, cela rend notre vie d'adulte impossible, mais nous y reviendrons. Considérons d'abord les choses uniquement du point de vue l'enfant, sans dramatiser. Sans doute s'agit-il d'un enfant à l'intelligence inter-personnelle développée : il n'aime pas être seul, et peut-être ce trait de caractère perdurera-t-il toute sa vie. On connaît tous des adultes qui passent leur temps libre à visiter leurs amis, ne travaillent efficacement qu'en équipe et ne sont sereins qu'en société ! Ils ne sont pas moins heureux que les autres, au contraire ! Ce sont généralement des personnes empathiques et attachantes, et elles sont entourées d'amis authentiques !
Est-ce à dire qu'il ne faut rien changer, et que développer l'autonomie de l'enfant lui serait préjudiciable ? Non, bien sûr. Les parents donnent à leurs enfants des racines et des ailes. Les racines, dans les familles qui m'écrivent aujourd'hui, sont puissantes. Il s'agit à présent de muscler les ailes. Un enfant n'a pas besoin d'aimer la solitude - on vit aisément sans cela - mais il a besoin d'apprendre l'introspection pour connaitre ses sentiments, ses forces et ses limites. Il a besoin de développer des rêves qui lui sont propres, des projets et des objectifs. Il a besoin de s'auto-évaluer, de s'auto-discipliner - bref, autant de compétences développées par l'intelligence intra-personnelle. Les racines poussent au contact des autres, mais les ailes ne se développent que dans la solitude. Le premier pas pour s'envoler (si je puis dire ...), c'est donc d'apprendre à être un peu seul ! 😊
Apprendre la solitude est, dans la vie humaine, un passage absolument obligé. Ce sont certes
les autres qui assurent la survie de l'enfant (et c'est ce qu'il vérifie
en sollicitant ses parents !), mais il ne dépend pas d'eux pour exister : il a une
existence propre, même si cette idée a des aspects effrayants. Pour apprivoiser cette perspective, on a tous
besoin d'une bulle, d'un petit univers personnel ... et ça, ça se construit !
Pourquoi l'enfant est-il ainsi ?
En toute honnêteté, je n'est jamais été fan des "pourquoi" en psychologie. Je crois que personne ne sait jamais "pourquoi" en psychologie, et on ne pourra jamais prendre deux fois le même enfant pour l'exposer à deux vies différentes - histoire de voir s'il se développe différemment. On peut passer toute une vie à éplucher le "pourquoi" sans avancer d'un pouce. Et puis, il y a pire que le "pourquoi" : il y a le "parce que". Parce qu'il est trop gâté. Parce que c'est de la faute de sa mère (ha. ha.). Parce qu'on est tous comme ça dans la famille... Rien de plus castrateur qu'un "parce que" !!
Bref, je passe vite sur cet aspect de la question, car je m'en fiche ! 😄
Je rappelle simplement que l'enfance est balisée d'étapes délicates. La personnalité est en construction, c'est un vaste chantier permanent, et le processus d'individuation, s'il est sublime, rend aussi fragile. Comment s'étonner qu'un enfant qui a peur de traverser le couloir tout noir, ou peur des bruits dans la maison, ait peur d'être seul ?
Il n'y a cependant aucune raison, a priori, qu'un enfant ne puisse s'occuper seul : il a en lui, en tant que petit d'homme, les principes de son
autonomie. S'il ne parvient pas à la développer, c'est que quelque
chose l'en empêche. Peu importe quoi, nous ne le saurons sans doute jamais, et nous pouvons lui faire confiance pour dépasser, un jour, ce "blocage". Disons simplement, en attendant, que l'enfant qui s'accroche sans relâche à son parent, interroge sa
relation et se rassure.
Vous me voyez venir avec mes gros sabots, car cela signifie en clair ... que votre enfant a besoin de vous de vous pour apprendre à jouer seul ! 😵
Lui refuser du jour au lendemain votre soutien risque de ne pas fonctionner ... du tout. Oui, je sais, c'est dur à entendre quand on est épuisé ! 😕 Mais il me semble que pousser l'enfant, frontalement, à plus d'indépendance,
alors que cette idée le paralyse, risque de détériorer la relation -
peut-être provoquer les réactions de révolte et d'insoumission évoqués dans les témoignages, qui viennent souvent d'un sentiment d'insécurité.
Et le parent, alors ?
"Comment continuer à répondre au besoin de connexion
émotionnelle de mon enfant quand mon réservoir à moi est vide ? Comment
le laisser dépendre de moi quand il en a besoin, alors que je ne peux plus
rien donner ?"
Ce qui est commun dans tous les témoignages reçus, c'est l'épuisement parental. Comme je l'entends, cet épuisement, et comme il me touche ! J'aimerai avoir une baguette magique, ou pouvoir vous dire, comme le font les magasines féminin : faites-vous un bon thé, une p'tite séance de yoga, prenez du temps pour vous, et tout ira mieux. Encore faut-il le pouvoir, et dans le cas présent, avec un enfant en perpétuelle demande, c'est impossible. Mais surtout : l'épuisement parental est un processus profond, structurel, fonctionnel, et il ne se résout pas en prenant un bain moussant !
Peut-être qu'en accédant à tous les désirs de l'enfant, nous les laissons être le centre du foyer. C'est une expérience effrayante pour un
enfant, car c'est une lourde responsabilité, et surtout : c'est un mensonge. Le centre du foyer, sa base si on peut dire, c'est le couple. C'est parce qu'il y a le couple qu'il y a l'enfant (même dans une famille monoparentale !). Une famille est une sorte d'écosystème : ses fonctions sont saines si chacun sait exactement qui fait quoi pour qui. Dans la situation d'un enfant "envahissant", les frontières sont floutées : plus personne ne jouit de son espace géographique intime - pas même lui-même ...
Il est impossible de donner des conseils sur cette base : chaque famille, comme chacun des êtres qui a composent, est unique. C'est au couple qu'il revient de produire sa propre solution pour s'extraire du schéma éreintant dans lequel il est plongé.
(Pourquoi pas un petit bain moussant ? O.K., O.K, on enchaine ... 😁)
Que faire ?
Chouette c'est la partie que je préfère ... et celle que vous attendez tous, oui. Désolée d'être si bavarde. 😄
Par contre, ne soyez pas déçus : je vous ai bien dit que je n'avais pas de baguette magique ... Tout ce que je peux faire, c'est aligner ici les idées qui me viennent, et les outils que j'ai testé. Il ne peut qu'ils vous conviennent ou pas du tout. J'invite vraiment tous les parents qui liront cet article à mettre leur grain de sel en commentaire s'ils ont expérimenté des techniques efficaces !!
Jouer ensemble 15-20 minutes, c'est sain, c'est souhaitable et cela fait du bien à tout le monde ! Cela remplit le réservoir
émotionnel de l'enfant, mais si cela dure au détriment de vos propres
activités, c'est vous qui vous "videz". On sent dans tous les témoignages que les parents ont à cœur de "remplir le seau" en
passant du temps privilégié avec l'enfant. C'est la transition qui
semble mal se passer : "Je passe du temps avec toi, jusqu'au moment où je ne peux plus, je dois préparer le dîner maintenant." Et là, c'est le drame.
Je propose donc que nous nous focalisions sur cette délicate transition. Que pourrait-on faire pour la rendre possible ?
1. Parlez clairement à votre enfant de ce projet : Parlez-en famille, le Papa doit être présent ! Faites de cette conversation un moment agréable, en expliquant clairement tous les bénéfices que les humains tirent de la solitude et de l'autonomie.
2. Commencez graduellement : Avertissez votre enfant à l'avance que vous le laisserez seul quelques minutes pour accomplir une tâche précise et circonscrite : "Dans 10 minutes, j'irai vider le lave-vaisselle, et puis je reviendrai." Restez dans son champ visuel, et veillez à faire exactement ce que vous avez dit : même si l'enfant joue tranquillement, revenez vers lui après avoir achevé votre tâche. Petit à petit, annoncez des tâches plus longues, ou un enchainement de tâches. Évitez de vous éclipser discrètement lorsque l'attention de l'enfant est attirée ailleurs, cela risquerait de l'alarmer et d'accroitre son besoin d'attention.
3. Ne renoncez pas à vos connexions : Les connexions, ces "parenthèses de temps spécial" accordé à l'enfant, pendant lesquelles il a toute votre attention et qu'il peut utiliser pour jouer comme il veut ... Vous connaissez, c'est votre spécialité ! 😄 Ne jetez pas le bébé avec l'eau du bain : votre enfant a plus que jamais besoin de votre attention chaleureuse si vous êtes tous déterminés à ce qu'il apprenne à jouer seul. Insister seulement sur les limites de ce temps spécial : une reconnexion n'en est une que parce qu'elle a un début et une fin. Annoncer clairement le timing : "La grande aiguille est sur le 12, lorsqu'elle sera sur le 6, ce sera fini.". Je vous renvoie à mon article détaillé sur le sujet ICI.
Le problème, nous l'avons cerné, c'est la transition : à la fin de ce "temps spécial", l'enfant va supplier qu'il se poursuive, et enchainer sur une crise de colère. C'est compréhensible et acceptable. "Je sais que tu veux que je joue avec toi. J'aime jouer avec toi aussi. Je ne peux pas jouer avec toi pour l'instant, mais nous rejouerons ensemble plus tard." Je suis partisane d'accompagner la "crise" tant qu'elle dure - oui, je sais, c'est chronophage ... Mais au moins, tant que vous tenez votre enfant en larmes dans vos bras, vous ne jouez pas, ouf ! (Ok, c'est une mauvaise blague ... 😐). Une fois l'émotion "vidée", restez ferme sur vos positions, et partez faire ce que vous avez à faire. L'enfant ne le vivra sans doute pas "bien" dans un premier temps, mais ses besoins émotionnels auront été pris en compte, et votre fermeté le "contient", le rassure, même s'il fait la tête, si, si !
4. Matérialisez cette transition avec un code partagé : "Je
porte ce bracelet au poignet, et lorsque je devrais aller faire à
manger, je te le donnerai. Ainsi tu saura que c'est fini, jusqu'à la
prochaine occasion que nous aurons. Tu pourras alors me le donner, et tout recommencera !". Ce peut-être une technique pour aider l'enfant à visualiser que les bons moments partagés qu'il affectionne tant, reviendront, bien sûr !
5. Proposez des choix : "Je vais faire à manger, et toi, que fais-tu ?
Veux-tu t'asseoir à côté de moi pour dessiner ? Ou jouer avec ce jouet ?
Ou écouter de la musique ?"
6. Impliquez l'enfant dans vos tâches quotidiennes : "J'aimerai
vraiment jouer avec toi, mais je dois plier le linge. Veux-tu plier le
linge avec moi ? Lorsque ce sera fait nous pourrons faire cette partie
dont tu as envie." Bon, au moins, s'il refuse, il saura que c'est son choix si vous ne passez pas le prochain quart d'heure avec lui.
7. Instaurez des activités parallèles : Je pense à cela, parce qu'en
classe on constate souvent le phénomène suivant : les jeunes enfants,
qui ne savent pas encore jouer ensemble, commencent par jouer en
parallèle - par exemple chacun avec une pile de cubes, côte à côte, mais
chacun dans son jeu hermétique. Ce n'est que dans un second temps, au
bout de plusieurs semaines, qu'ils acceptent de partager le même
matériel autour d'un jeu commun. Peut-être ce processus est-il
inversable ? Pour s'extraire du jouer "avec", on peut essayer de
commencer par jouer "à côté". Pas ensemble vraiment, mais dans une
proximité et un mimétisme rassurant. Peu à peu, délaissez les cubes pour
votre bouquin, votre tricot ou votre courrier tout en restant à
proximité. Cela peut peut-être marcher ?
8. Organisez des jeux défouloirs : Ils libèrent les tensions et musclent la
capacité à affronter les difficultés. Ce sont les batailles de
polochon, des combats d'épée avec des rouleau d'essuie-tout ou des frites
de natation, des jeux de lutte (Qui parviendra à ôter les chaussettes
de l'autre en premier ?). Ces scénarios d'affrontement symboliques sont cathartiques ! Jouons ensemble autrement est une réflexion de fond sur ce chapitre (et plus encore !) que je vous conseille vivement !
9. Utilisez un timer : c'est en général un bon outil pour favoriser l'autonomie : "Tu es
cap' de jouer tout seul 5 minutes ? Regarde, je met le minuteur : quand il
sonne, tu peux venir me voir pour me raconter ce que tu as fait pendant
ce temps."
10. Instaurez une rotation des jouets : Si l'enfant ne les a pas vu pendant quelques semaines, ils parviendront peut-être à susciter son attention quelques minutes ?
Quelques "jeux" qui se pratiquent bien seuls :
- Aaaah, les vertus du casque audio
(adapté aux oreilles des petits) : c'est un matériel magique, qui leur
permet d'écouter leurs histoires ou leur musique "dans leur bulle", sans
que vous en soyez gêné, tout en étant proche physiquement.
-
La lecture ! Bandes dessinées (il en existe même sans texte, pour les
non-lecteurs !) ou romans palpitants (des Cabane magique aux Harry Potter, il y a des best sellers pour tous les âges et tous les goûts !).
- Mais aussi : la pâte à modeler, le coloriage, les perles à repasser, les puzzles et certains jeux de société type "Smart games" ...
11. Invitez des copains : Le jeu autorégulé n'est pas inné, il s'acquiert par imitation et interaction. Mais vous n'êtes pas le seul repère possible ! En jouant avec ses pairs, l'enfant nourrit son imagination : les petits amis ont toujours des références que l'on ne connaissait pas, des jeux auxquels on n'avait pas pensé ... En jouant avec d'autres enfants, votre petit développe sa patience et construit ses contours psychiques ("Je suis comme lui sur ce point, mais différent sur tel autre ..."). Autant de compétences dont il aura besoin pour se suffire à lui-même quand vous ne serez pas disponible.
Le mot de la fin : encouragez toutes les petites "prises de risque" de votre enfant, ses moindres velléités d'indépendance : observez le à distance, et s'il réussit son puzzle par exemple, dites une phrase pour signifier que vous l'avez remarqué. Ces enfants, comme tous les enfants bien sûr, ont besoin d'être observés, "contenus" dans la confiance parentale pour construire les limites d'eux-mêmes.
Je ne sais pas si cela vous parle et si j'ai aidé ?
Bon courage, et surtout, revenez me raconter la suite des évènements ! On continue de chercher ensemble !! 💪