Le monde n'est pas intrinsèquement logique. C'est l'Homme qui injecte de l'ordre dans le monde - on aime bien ça, nous, la logique. Il faut dire que nous n'avons pas trop le choix : la logique structure notre pensée, à tel point que nous oublions souvent qu'elle n'existe pas hors de notre crâne.
Nous passons notre vie à organiser, c'est-à-dire : à trier selon des catégories. C'est une pratique qui pénètre tous les aspects de notre vie humaine. L'enfant entre en sciences quand il commence à trier, et il entre du même coup en mathématiques, et dans le langage. Organiser les
choses du monde : c'est ce que nous faisons toute la journée. Au cours de nos tâches les plus prosaïques (ranger et nettoyer sa maison, se laver, jardiner ...) comme les plus élevées - l'exercice des sciences les plus abstraites.
La première compétence scientifique, c'est l'exercice du tri, du rangement.
Ce n'est pas tellement l'ordre qui résulte de cette opération qui
importe, mais le processus qui consiste à rapprocher, ou à différencier,
deux objets par la pensée. Quels sont les points communs entre une
bouilloire et une cuillère ? Qu'est-ce qui les sépare ? Puis-je
envisager un concept qui les englobe toutes les deux ? Et une étiquette
qui puisse s'appliquer à l'un mais en aucun cas à l'autre ?
Voici une activité que j'affectionne particulièrement, et qui peut être proposée dès 5 ans :
Rassemblez tout un tas d'objets
hétéroclites sur un grand plateau ou dans une boite : stylos, boutons,
perles, ficelle, pinces à linge, livres ... enfin, tout ce qui vous tombe
sous la main. Le but du jeu pour l'enfant est de trier ce désordre selon des catégories choisies par lui.
Les plus jeunes trient souvent selon la taille, la forme ou la couleur des objets. Plus tard, apparaissent le tri selon l'usage, les matériaux ou l'origine.
L'enfant comprend vite qu'une même collection peut être organisée de multiples façons. C'est même en constatant qu'un objet peut toujours appartenir à plusieurs catégories à la fois que se construisent la souplesse d'esprit et la capacité d'abstraction.
Ce petit jeu tout simple, dans ces infinies variantes, permet donc de développer une pensée agile, à condition :
1. De laisser l'enfant construire les catégories, sans les lui imposer en début d'activité.
2. D'accepter toutes les propositions, du moment qu'elles sont argumentées, et d'admettre qu'il n'y ait pas de "bonne" réponse.
Aujourd'hui, les enfants ont choisi deux familles qui leur tiennent particulièrement à cœur en ce moment : ils ont trié les objets que je leur avais fournis en "Humain" ( = fabriqué par l'homme) et "Naturel".
Lorsque tous les objets ont été triés, je leur ai demandé, comme je le fais toujours à la fin de cette activité, de prélever dans leur environnement d'autres objets de leur choix et de les soumettre aux catégories choisies.
C'est alors que la rencontre d'une petite limace a tout bouleversé. Louiselle a voulu ajouter en son honneur une troisième catégorie : "Vivant", et les enfants ont repris une partie des items "naturels" pour les transférer dans ce nouveau plateau. La frontière entre ces deux catégories étant parfois ténue, les discussions furent vives, précises et passionnantes. 😊
Alors ... Peut-être cette nouvelle catégorie rompt-elle l'équilibre. On peut
opposer "Humain" et "Naturel", mais si on parle de "Vivant", il
faudrait sans doute mieux baptiser les autres plateaux : "Non vivant" (
= les objets), "Qui fait partie d'un organisme vivant" ( = l'écorce,
la feuille ...), et "Qui fut jadis vivant" (= les cadavres) ... ?
Ou alors, acceptons que tout cela est fortement culturel, et que les trois
"familles " du jour sont d'une logique à toute épreuve. Mieux, elles
sont la logique humaine en exercice. 😉
Je pense que je vous reparlerai de sciences très bientôt, parce que ça
me trotte pas mal dans la tête en ce moment 😊 : je sens que mes enfants
arrivent à un stade où les petites manipulations ludiques, menées selon
l'inspiration du moment, ne leur permettent plus de construire de
nouvelles notions. Ils formulent un appétit de savoir et des demandes
d'explications intelligibles - sur des notions aussi variées que la
cristallisation, l'énergie, l'érosion, l'inertie ou la gravité. Je
réfléchis donc activement à la manière dont je peux mener tout
cela, et je vous tiendrai au courant très vite !
Une chose est sûre : nous n'avons pas fini de faire des tris ... 😉
Génial, expliquer intégrer et initier les jeunes à l’environnement ! Selon moi le moyen le plus efficace sur le long terme !!
ReplyDeleteExcellente idée!
ReplyDeleteLe livre "Science et apprentissage" d'Elena Pasquinelli est passionnant, en particulier sur les systèmes logiques que possèdent les enfants, les biais encourus et les erreurs que l'on peut encrer dans leurs têtes très rapidement (pourquoi les saisons? Les forces et animaux vus par le prisme téléologique)
Bref à mettre entre les mains de tous les parents et enseignants aimant les sciences !
Un grand merci pour cette référence, je l'ajoute à ma liste de livres à lire de suite !! <3
DeleteExcellente idée, mais comment les enfants ont-ils opéré la distinction entre naturel et vivant ? Je repère une pomme dans le vivant, mais des feuilles mortes et une pomme de pin dans le naturel…
ReplyDeleteOui, ces catégories peuvent être un peu poreuses parfois, et c'est justement leur intérêt je trouve. Disons que le vivant désigne les animaux, les plantes ... Les enfants ont aussi décidé d'y mettre ce qui était "vivant avant" (le coquillage renfermait un animal qui est mort aujourd'hui). L'idée est qu'on met là ce qui peut "faire des bébés". Donc, le fruit y a sa place.
DeleteLe naturel, ce sont les cailloux, le sable, la terre, l'air, l'eau ... Qui ne sont pas produit par l'homme, mais qui ne peuvent pas se reproduire (et ne peuvent pas être dit "vivants"). Ici, les enfants ont souvent mis des choses qui étaient des "morceaux de vivant" (écorce, branches ...). Ils n'ont pas pensé au fait que la pomme de pin renfermait des graines au moment du tri et je me suis gardée de "corriger" ... car on peut la classer aussi dans ce plateau, c'est une réponse acceptable ! :-)