Quand je regarde la photo ci-dessus, je me dis qu'il faut absolument que nous poncions notre table basse.
A moins que ce ne soit précisément le contraire : il faut absolument que nous laissions cette table basse telle qu'elle est toute notre vie, puisqu'elle témoigne des traces d'essais et d'erreurs gravées sur son plateau de pin fragile, de ces coups de crayons déviés, ces tâches d'encre et de peinture, comme autant de souvenirs des apprentissages de nos enfants. À voir. 😊
Dans l'attente de trancher cette question existentielle, voici une petite invitation de géométrie, proposée à Antonin il y a quelques semaines, mais je n'ai pas eu le temps de partager en temps et en heures. Ma proposition était simple : construire un petit livret de quelques feuillets, dont chacun présenterait un triangle différent, que je proposais à Antonin d'identifier.
Non, non, je n'ai pas craqué : je n'ai jamais acheté le cabinet de géométrie - qui reste mes yeux le symbole du mauvais marketing montessorien, et que je suis bien déterminée à n'acheter jamais. Pour cette séance, j'ai eu une opportunité inespérée : alors que je me triturais les méninges pour trouver comment me passer du cabinet pour présenter les triangles à mon fils, une amie/collègue a proposé de me prêter le plateau de triangles qu'elle possédait pour sa classe. 💓 Et du coup, je me dis : les filles, il y a un créneau à prendre. Un réseau de prêt et d'échange de matériel au niveau local, voilà une belle idée à initier pour ceux qui pratiquent cette pédagogie dans un cadre domestique ! 😊
L'intérêt du cabinet, ici, est de permettre au jeune enfant de prendre en charge la construction géométrique - à 7 ans tout juste, Antonin ne maitrise pas suffisamment l'usage des outils de tracé pour réaliser une figure rigoureuse. Les supports jaunes guident ici le trait et permettent de produire des formes propres, variées (chaque triangle a des propriétés géométriques particulières) et de belle taille - ni trop grandes, ni trop petites. Les angles ne sont pas arrondis comme c'est trop souvent le cas dans le matériel géométrique destiné aux enfants (les fabricants doivent craindre qu'ils ne se piquent ... 😂😂) ... J'ai cherché activement dans le commerce des pochoirs de formes géométriquement correctes pour remplacer le tiroir des triangles lors de cette séance ... En vain. 😔
Nous avions en amont fabriqué un "livret", c'est-à-dire qu'Antonin avait plié en deux 2 feuilles de papier machine, qu'il avait emboitées. Le voilà face à un "livre" vierge. Il a reporté ensuite chacun des triangles du cabinet sur une page séparée. Une page par triangle : c'est une jolie façon de mettrre chacun d'eux à l'honneur, et de les présenter "de manière claire et distincte", comme dirait l'un des philosophe préféré.
Cela fait, le Damoiseau a soigneusement mesuré les côtés de tous
les triangles à l'aide de son double décimètre, et reporté les mesures
sur chaque figure. Un grand moment de plaisir pour mon petit
mathématicien ! 😊
J'ai ensuite introduit la notion d'angle droit. Avec une définition très empirique, très provisoire, et, je l'admets, logiquement très contestable. L'idée n'était pas ici d'embarquer Antonin dans la mesure des angles, mais de m'appuyer sur ses pré-acquis sensoriels. Des formes, le Damoiseau en a touchées, au cours de sa courte vie. Il a manipulé, classé, nommé ... Il a compris bien des choses et construit bien des savoirs, et j'ai à cœur de m'appuyer sur ces expériences. Nous définissons donc, dans un premier temps, l'angle droit comme ayant la forme de cette encoignure très particulière représentée au sommet de l’équerre. Il est toujours intéressant, par ailleurs, de laisser l'enfant formuler sa propre définition de l'angle droit avec ses mots à lui - cette définition n'aura bien sûr rien de scientifique, puisqu'il est impossible de construire cette histoire de degrés ex nihilo, mais témoignera à coup sûr, au delà de la maladresse du vocabulaire, d'une compréhension sensorielle fine.
Armé de son équerre, Antonin est donc parti à la chasse aux angles droits dans son environnement. 👆 Encore un bon moment à ne pas rater !!
Il vérifie ensuite scrupuleusement si chacun de ses triangles contient - ou non - un angle droit. Dès que c'est le cas, il inscrit en légende "triangle rectangle". Le fait de retrouver, dans cette appellation, un mot si familier le fait sourire ...
Je lui montre, par la même occasion, la manière conventionnelle de marquer un angle droit sur une figure. Il s'agit d'un signe très logique et intuitif, qui "complète le rectangle" au sommet de la figure ...
Bon. L'angle droit est donc, dans un triangle, une particularité remarquable. Mais il y en a d'autres. Et Antonin a à peine besoin de mon aide pour la suite, puisqu'il a pris la peine de mesurer les cotés des figures. Il a constaté qu'un de ses triangles possède trois côtés de même longueur. J'introduis le vocabulaire : il s'agit d'un triangle "équilatéral". C'est un mot rigolo, "équilatéral". Nous prenons quelques minutes pour nous le mettre en bouche, scander les syllabes, et le décomposer : "équi", comme dans "équilibre", "équinoxe" ou "équivalent". "Equi", c'est ce qui est est égal. Le Damoiseau légende scrupuleusement (Quel délice, ces mots de grands !).
Nous procédons de même avec les triangles isocèles. L'étymologie est moins perceptible dans ce mot bizarre - normal, celui-ci vient du grec, et non du latin. "Isoskelès" veut dire "deux jambes égales"- hi hi, il y a même dans notre livret un triangle rectangle isocèle, la classe !
Le triangle qui ne présente aucunes de ces "particularités" est nommé "quelconque". Le mot plait beaucoup au Damoiseau, et j'attire son attention sur le fait qu'il est très facile de tracer des triangles quelconques. Il suffit de faire s'entre-couper trois droites "au hasard". C'est un triangle peu représenté dans notre culture comme dans la nature, et pourtant, il est, de toute sa famille, le plus spontané ...
N.B. Un triangle dont les trois côtés sont de longueurs inégales peut aussi être nommé "scalène". La pédagogie Montessori fait le choix délibéré de présenter ce vocable à l'enfant dès le début de la découverte. Je l'ai donc précisé à Antonin, qui a préféré le terme de "quelconque" (puisque c'est le terme qu'il rencontrera dans sa scolarité, tant mieux !). Néanmoins, les deux notions ne sont pas rigoureusement synonymes. Un triangle scalène peut être rectangle (il s'agit d'un triangle rectangle dont les trois côtés sont de longueurs inégales, donc), alors qu'on ne dit pas d'un triangle quelconque qu'il est rectangle ! S'il comporte un angle droit, il entre dans la catégorie des triangles "particuliers" et perd de ce fait la dénomination de "quelconque". 😉
Mon objectif, vous l'avez compris, était que chaque type de triangle soit valorisé pour lui-même. Aussi bien dans sa présentation (un par page, tout beau, tout propre !), que dans sa "petite histoire" particulière ... Rien de tel pour fixer les propriétés et les mots barbares dans les jeunes mémoires !
Reste à décorer librement la couverture du livret - Antonin y trace des triangles, bien sûr ! - et à l'orner d'un titre. Le Damoiseau signe la 4e de couverture, y appose la date, et y inscrit superbement le mot : "FIN". 😊
Tout est dit, même s'il reprend régulièrement (et fièrement !) ce livret depuis ! 😊