Avertissement : le présent article est un récit de vie familiale, par définition particulière.
Il ne s'agit pas ici de théoriser de façon générale sur les croyances des enfants, mais de relater une expérience personnelle.
Il ne s'agit pas ici de théoriser de façon générale sur les croyances des enfants, mais de relater une expérience personnelle.
La Petite souris, ce n'est pas nous qui l'avons inventée. Elle a surgi un beau matin, dans la bouche d'Antonin, 6 ans :
"Quand
on perd une dent, on la met sous l'oreiller. Et pendant la nuit, il y a
une petite souris qui passe et qui dépose une pièce.
- Ah ?! Quelle histoire intéressante !", ont dit les adultes.
Son apparition soudaine
ne nous a pas émus le moins du monde. Pensez-donc : nous vivions déjà avec
quelques Pères Noël et une colonie de cloches de Pâques. Nous pouvions bien nous tasser un peu, la maison est grande, et cette souris, si petite !! 😊
Antonin et Louiselle se posent beaucoup de questions sur la véracité de
certaines figures fantastiques. Nous avons eu droit à tout – ou
presque :
est-ce que les sorcières existent ? Et les ogres ?
Les géants ?
Les dragons ? Il est facile pour nous de répondre que non –
nul affect n'est en jeu, et je pense de toute manière qu'il est rassurant, pour les enfants, de vivre dans un monde expurgé de monstres.
Mais :
JAMAIS nos enfants
ne nous ont demandé si le Père Noël
existait. JAMAIS. Ils ont pourtant assisté à l'emballage de quelques
cadeaux, et à certaines discussions à peine voilées... qui ont glissés
sur eux - ils le voulait ainsi. Il ont constaté l'apparition soudaine
des chocolats de
Pâques avec ravissement, et en ont conclu tout seuls, sur
la base apparemment non réfutable de leur culture de cour de récré,
que c'étaient les cloches qui les apportaient.
Je n'ai pas pour
habitude de contredire – ni même
de sourire - aux tentatives d'explications
du monde que déploient mes enfants.
J'ai donc fait
exactement ce que je fais lorsqu'ils m'expliquent le processus de la
digestion ou les aléas de la météo : je n'ai
rien validé, rien invalidé. D'ailleurs,
les choses étaient très claires : on ne me demandait pas mon
avis.
Tout
de même, l'année dernière, Antonin s'est demandé comment les
cloches faisaient pour entrer dans les maisons, afin que les enfants
puissent faire leur chasse à l'intérieur par
temps de pluie.
Je lui ai répondu que c'était une bonne question, et que si c'était
effectivement les cloches qui faisaient le boulot, cela questionnait
drôlement. La conversation en était restée là .
C'est
en ce sens que j'ai parfois l'impression que nous cohabitons avec
quelques créatures mythiques, malgré le soin que nous mettons, nous les
adultes, à traiter ces histoires comme des histoires. Mon homme et moi disons bien, à chaque fois que nous croisons un Père -Noël : "Tiens, UN Père-Noël." (et non : "C'est LE Père-Noël !",
remarquez la nuance), et nous enchaînons généralement sur une étude
comparée de leurs déguisements respectifs - discussion passionnée et
passionnante à laquelle les enfants prennent une large part. Pas
question de préparer une collation au vieux barbu le soir du 24, de lui
écrire une lettre - à laquelle il répondra peut-être ! - et de prétendre
que le bonhomme voit tout et entend tout (surtout s'il s'agit de
"bêtises"). Agir ainsi reviendrait pour moi à abuser cruellement de la
naïveté de mes enfants et de leur appétit de surnaturel - pour dire le
vrai et sans vouloir décrier les familles qui font d'autres choix, je
craindrais même d'entraver le développement de leur esprit critique.
L'apparition
de la petite souris ne nous a donc pas émus le moins du monde,
disais-je. Mais je fus par contre véritablement ébranlée, lorsque deux
jours après lui avoir donné vie, Antonin exprima pour la première fois un doute radical à son sujet. Il vint se planter à mes côtés, et lança d'un air malicieux :
"Je
sais ce que je vais faire ! Le jour où je perdrai ma dent, je ne vais
pas vous le dire, et je la glisserai en cachette sous l'oreiller ! Comme
ça, s'il n'y a rien le lendemain, c'est que c'est Papa et toi qui
glissez la pièce !".
Là dessus, mon Damoiseau fort satisfait me laissa en plan. 😶
Je
dois dire que j'étais un peu sonnée : décidément, les choses ne se
faisaient pas dans l'ordre supposé. Car encore une fois, rien ne m'était
demandé directement. Antonin sait pertinemment que je répondrai à sa
question s'il me la pose. Ce qui m'était adressé, j'en eu immédiatement
conscience, c'était la question muette d'autres enfants, ces
enfants auxquels on "fait croire". La stratégie avait été élaborée,
peut-être collectivement, dans l'ombre d'un préau, pour obtenir la
réponse refusée. Cette idée n'était pas celle de mon fils : elle
circulait parmi ses copains comme une tentative de putsch dans le monde
des adultes ... J'avoue que je ne peux qu'applaudir très fort ! 😊
Le lendemain, la dent d'Antonin tomba. L'évènement, passage rituel au sens fort,
fut très impressionnant, avec perte de sang, handicap relatif de
plusieurs heures, et tout et tout. La grande classe. Bref : la dent
tombe, et il n'est bien sûr pas question pour Antonin d'en faire
cachotterie à ses parents. D'ailleurs cette idée, dont j'ai tout de
suite su qu'elle n'était pas la sienne, semble bien loin de son esprit Ã
présent. Sa seule obsession (tout de suite après : "Je saigne donc je souffre. Je perds quelque chose donc je grandis.")
est : glisser sa dent sous l'oreiller pour recevoir sa pièce, et ainsi
parachever le rite de passage. Nous n'entendons plus, Ã ce stade, parler
de la Petite souris. 😉
Le
lendemain matin, Antonin a trouvé sous son oreiller deux petits
paquets, une boite minuscule et une grande enveloppe. Il n'a rien ouvert
sans nous. Il a tout emporté au salon et attendu patiemment deux bonnes
heures
que nous émergions du sommeil. Il avait besoin de nous, car il savait,
je crois, que nous ne le laisserions pas dans le flou, et que nous
répondrions à sa question.
Nous avions décidé de faire les choses bien. Les deux petits paquets contenaient un livre d'initiation à la mythologie grecque
(sans doute son livre préféré depuis lors) et un adorable petit carnet
illustré sur le thème des contes classiques. Ces petits présents étaient
surtout le fruit du hasard : j'entasse toute l'année des babioles que
je n'offre qu'à l'occasion d'une occasion (!). Mais rétrospectivement,
je trouve que le hasard fait bien les choses et que le message est
clair. La perte de la première dent, et c'est l'entrée dans le monde des "grands", le monde symbolique
: les grands mythes fondateurs, et les contes-reflets de notre
inconscient collectif (que je lis en version la plus originale possible Ã
mes enfants, et qu'ils ne connaissent pas tous encore, loin s'en faut,
de ce fait).
Et encore : plutôt que d'emporter la précieuse dent au royaume de l'oubli, nous l'avons placée dans une jolie boite, conçue spécialement pour recevoir les dents de lait. Cette boite a été replacée sous l'oreiller, et Antonin aura à charge d'y placer les prochaines, précieusement. Il pourra à tout moment inspecter son contenu, manipuler et nommer les trésors physiques et symboliques qu'elle contient... C'est tout de même plus intéressant que si la Petite souris les emportait pour toujours, hein ? 😉
Et encore : plutôt que d'emporter la précieuse dent au royaume de l'oubli, nous l'avons placée dans une jolie boite, conçue spécialement pour recevoir les dents de lait. Cette boite a été replacée sous l'oreiller, et Antonin aura à charge d'y placer les prochaines, précieusement. Il pourra à tout moment inspecter son contenu, manipuler et nommer les trésors physiques et symboliques qu'elle contient... C'est tout de même plus intéressant que si la Petite souris les emportait pour toujours, hein ? 😉
Quant à l'enveloppe, en plus de la fameuse pièce (2 euros autrichiens !), elle contenait deux feuillets :
- J'avais mis en page, d'après une idée trouvée sur le Net (où ?) un relevé des chutes des dents de lait. Antonin a pris grand plaisir à inscrire la date de la chute de sa première dent (à l'aide de son dateur chéri reçu à Noël !), et attend avec impatience de pouvoir poursuivre le relevé... Si ce document vous intéresse, il est téléchargeable ICI.
- La deuxième feuille était la réponse à sa question voilée : une lettre
... de ses parents. Après tout, les petites souris ont souvent coutume
de laisser des petits mots aux enfants après avoir pris leurs dents...
Pourquoi ne ferions-nous pas de même ?😊
J'ai eu ce matin-là la confirmation d'une chose que je savais depuis longtemps : répondre en toute honnêteté aux réponses de nos enfants n'empêche pas la féérie.
Car ce fut un matin 100% magique. Antonin peut grandir en toute
quiétude : nous ne lui mentirons jamais, nous répondrons toujours à ses
questions (même indirectes) mais nous lui laisserons aussi la liberté de
rêver. Et à chaque dent qui tombera, quel que soit son âge, il sera sûr
de trouver un petit quelque chose sous son oreiller. 😊
"Comment as-tu fait ? me demanda, plein de malice, Antonin quelques heures plus tard. Pour glisser tout ça sous mon oreiller sans que je me réveille ?
- Ah,
ne m'en parle pas ! Quelle frayeur ! Je n'avais jamais fait cela de ma
vie, le sais-tu ? C'était une première pour moi aussi ! À un moment, tu
as bougé, et j'ai transpiré, oh ! Je ne voulais pas te réveiller,
j'avais l'impression de faire autant de bruit de cent hippopotames !!".
Nous nous sourions.
Dans les yeux de mon fils, je lis un nouveau défi : "À ma prochaine dent, je ne dormirai pas, et je te surprendrai ! Et ça ne sera pas bien grave !"
Et mes yeux à moi répondent :
"Rien
à faire : tu dormiras et je m'engage à ce que tu aies la surprise le
lendemain... Encore que le contraire ne serait pas dramatique...
N'est-ce pas ?"
N'est-ce pas ? 😉