J'ai reçu plusieurs questions, par mails ou via des commentaires, sur mon introduction précoce du zéro dans les apprentissages numériques, et je vous avais promis d'y revenir. C'est ce que je vais essayer de faire aujourd'hui, bien que le sujet ne soit pas facile... surtout pour quelqu'un qui est en congé parental et dont les livres didactiques ne sont pas encore sortis des cartons ! 😉
Les propos qui suivent se sont, bien sûr, nourri des écrits des didacticiens, mais à vrai dire, les lectures que j'ai pu faire il y a plusieurs années, du temps où je me formais, ont tant et si bien été assimilées, que je ne sais plus très bien ce qui appartient à qui... Disons plutôt que la méthodologie décrite ici revèle d'une espèce d'instinct et que c'est principalement la pratique qui me l'a inspirée. Cette manière de faire n'est pas montessorienne, mais pour ma part, je n'ai aucun scrupule à y greffer le matériel montessorien, et je n'y vois aucune contradiction.
Mais qu'il s'agisse de Bachelard, Chevallard, Brousseau, Baruk... ou de Montessori, tous s'accordent à le dire : l'apprentissage du zéro, s'il est primordial, n'est pas premier. Personne n'aurait l'idée de compter ce qui n'existe pas, n'est-ce pas ? Ce n'est pas parce que le 0 s'écrit le plus à gauche sur une frise des nombres positifs qu'il faut l'aborder avant les autres nombres. D'un point de vue logique, cela n'aurait aucun sens.
Mais continuons à parler de sens, justement. Les enfants de deux ans (ou moins, Louiselle s'y met déjà) sont très forts pour apprendre à réciter la comptine numérique comme de petits perroquets. Est-ce pour cela qu'ils sont entrés en mathématiques ? Non, bien sûr que non. La deuxième étape consiste à faire correspondre une écriture chiffrée à un nombre d'éléments. On commence à remplir de sens le concept numérique. Cette étape, qui porte sur de très petites quantités, est longue, et, à dire vrai, on peut encore se passer du zéro ici. Il est vrai que chez Antonin, la compréhension du "zéro" qui renvoie à une absence d'élément s'est faite très tôt, spontanément. J'ai l'habitude de choyer particulièrement les apprentissages autonomes, qui ont pour moi bien plus de valeur que ceux obtenus grâce à des progressions très pensées (... même montessoriennes... hé oui). J'ai donc intégré le zéro, très naturellement, dans nos manipulations. Un jour, viendra le déclic qui ouvrira les portes de l'étape suivante.
Et l'étape qui suit ne pourra pas se passer du zéro. Il s'agit alors de remplir de sens le concept de nombre de manière optimale. On la débute entre 3 et 4 ans ; l'enfant doit parler couramment et continuer, pendant ce temps, les manipulations d'éléments concrets à compter.
Voici comment les choses se passent dans ma classe. Lors d'un temps de regroupement, en fin de Petite section, ou en Moyenne section, je sors une affiche, qui représente, disons, trois oiseaux. Deux sont posés sur un fil et le dernier vient juste de s'envoler.
"Combien y a-t-il d'oiseaux sur ce dessin ?
- Trois ! répondent les enfants en chœur.
- Comptons-les... Un, deux, trois, c'est cela ! Montrez-moi "3" avec vos doigts ? Oui, trois, comme trois oiseaux... Oh, mais regardez ! Combien d'oiseaux s'envolent ?
- Un !
- Un oiseau s'envole ? Comptons... Oui, un. Montrez-moi un doigt ? C'est cela. Un oiseau est en train de s'envoler dans cette histoire. Écoutez bien ma question : après, il y aura plus d'oiseaux ou moins d'oiseaux ?
- Moins...
- Moins ? Si on veut savoir combien d'oiseaux restent sur le fil, est-ce qu'il faut en ajouter ou en enlever ?
- Moins... On en enlève...
- Montrez-moi 3 avec vos doigts. On va enlever un oiseau, alors, qu'est-ce qu'on fait avec les doigts ? On les déplie ou on les replie ?
- On les replie ??
- On replie un doigt... Combien en reste-t-il ?
- Deux !!"
Des centaines d'"histoires" de ce type seront abordées tout au long du cycle de maternelle. Des histoires d'oiseaux qui s'envolent ou qui se posent, des histoires de gâteaux mangés ou offerts, des histoires de pommes croqués et de pommes intactes, des histoires de poussins éclos ou dans leur oeuf. Il faut comprendre l'histoire pour savoir s'y faut replier des doigts ou en déplier. Il faut accéder au sens. Il ne s'agit pas de faire la même "opération" à chaque fois bêtement. Les maths, ce n'est pas cela.
Et vous voyez bien ce qui va se profiler : un jour, tous les oiseaux vont s'envoler de leur fil. Et la maitresse - cette perverse - va demander combien il en reste. Rassurez-vous : il y a toujours un petit malin pour s'exclamer : "Zéro !!!" Il en reste zéro, parce qu'il n'y en a plus !!"
Parallèlement à ces mini-problèmes numériques, se développe chez l'enfant la notion de la cardinalité : l'ordre. Oh, mais si deux, c'est trois moins un (ou un plus un), cela veut dire que deux vient avant trois (et après un). Nous sommes en milieu de la Moyenne section. C'est le bon moment pour introduire la frise numérique qui se révèle être un excellent support pour vérifier les petits calculs. Tout comme les barres numériques montessoriennes, d'ailleurs... Mais ceci est une autre histoire... ;-)
Dans tous les cas, cette frise numérique doit être pensée de façon à présenter, en vis-à-vis de chaque écriture chiffrée, le nombre d'éléments correspondants... Et cela s'applique aussi au zéro, ce qui peut donner :
Cela... |
... cela ... |
... ou cela ! |
Je termine sur un coup de cœur : la frise du nuancier de Marie, qui permet à l'enfant de placer lui-même le nombre d'éléments correspondant à l'écriture chiffrée dans une petite pochette plastique !
J'adore... |
À bientôt pour des sujets moins techniques ! 😉
merci pour l'article
ReplyDeleteCet article me semble tout à fait censé dans la mesure où il s'appuie ( en plus des connaissances didactiques) sur une observation juste de l'enfant en apprentissage, une grande souplesse et ouverture d'esprit :).
DeleteMerci
Merci les filles ! ;-)
DeleteTrop bien le nuancier de Marie!! Est-ce que c'est lié à la pédagogie Montessori? Je l'ai mis sur mon board Montessori mais tout d'un coup j'ai un doute... http://www.pinterest.com/jewelrymib/montessori/
ReplyDeleteCoucou Fab !
DeleteJe ne pense pas que cette bloggeuse ait d'affinité particulière avec la pédagogie Montessori (je peux me tromper...) mais son travail a tout à fait sa place sur ton board (à mon avis) puisqu'on peut le rapprocher de la boite des fuseaux. Non ?
;-)
Avec les fuseaux, notre fille Marie a compris le concept de zéro en 10 minutes une soirée et 5 minutes le lendemain, elle a trois ans et demi, quatre en février. C'est magique la pédagogie Monte Souris, oui c'est Marie qui : je veux faire des activités Monte souris ! alors on a un peu tendance à dire pareil maintenant ....
ReplyDeleteCécile
Ton message me fais dire que lorsqu'on nous envoie en classe, on est bien mal formés.
ReplyDeleteJe ne me suis jamais posé toutes ces questions avant de devenir maman moi-même.
Et franchement, après 4 ans de remplacements j'ai vu peu d'instits se poser ce genre de réflexions, à part des IMF.
Et ce ne sont pas nos conseillères péda/inspecteurs et autres animations pédagogiques qui nous y poussent...
Seule la volonté personnelle et beaucoup de temps à consacrer à l'autoformation nous le permettraient ...
A propos du zéro dans "Pédagogie scientifique tome 1" après la présentation des fuzeaux :
ReplyDeletehttps://drive.google.com/file/d/0B9814RCOotPfX2tZV0k3dC1DcUU/edit?usp=sharing
J'adore ! Quel bonheur de relire ce texte !
DeleteApprendre en riant, il n'y a que cela de vrai ! ;-)
Merci !
Je tape zéro avec les doigts dans une recherche google et je tombe... ici...! :-D
ReplyDeleteJe savais en plus que tu l'avais abordé mais je ne me souvenais pas que tu avais mis des exemples de "fiches" qui correspondent tout à fait à ce que je fais en ce moment...! (je cherchais une représentation du zéro avec la main)
En tout cas, je partage ton point de vue sur l'apprentissage (ou du moins la sensibilisation!) du zéro aux plus jeunes...!
Petite aparté, j'ai un gros soucis avec mes doigts je n'arrive pas à faire le 4 en baissant l'auriculaire...! du coup, j'ai peur de perdre Charline en baissant mon pouce au lieu de l'auriculaire...! mais elle-même "symbolise" déjà le deux et le trois de manière non "conventionnelle" en utilisant pour le deux : l'index et le majeur et pour le trois l'index, le majeur et l'annulaire (elle tient son auriculaire avec son pouce) ... je me dis que le principal est surtout d'associer 2 représentations (soit 2 qtés soit une qté et un chiffre) entre elles...!
Oui, tout à fait, peut importe quels doigts sont levés du moment que le compte est bon ! :-)
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