Avec une lectrice, nous parlions récemment, par mails interposés, de notre lenteur à mettre sur pied un projet auquel nous tenons pourtant beaucoup, mais que l'on éprouve le besoin de mûrir longtemps, longtemps... C'est d'un projet de cette espèce dont je voudrais vous parler aujourd'hui : je viens de finaliser un objet auquel je pense depuis le jour où je suis tombée enceinte d'Antonin (!), et le voici :
Je sais qu'il y a parmi vous beaucoup d'enseignantes de maternelle qui me suivent et elle reconnaitront certainement le procédé que j'ai utilisé ! Ou, à défaut, elle admettront bien volontiers que les objectifs scolaires les plus difficiles à atteindre avec les plus petits "en difficulté" concernent le domaine langagier. Comment apprendre à parler à un enfant avec lequel on ne vit pas ?? Cette gageure m'a plongée longtemps dans des affres de perplexité non dénuée d'angoisse, car j'ai pleinement conscience de l'importance des enjeux dès la Petite section de maternelle. Un enfant qui parle mal va généralement accéder moins vite et moins bien aux mystères du monde de l'écrit, à ceux du domaine des chiffres et des grandeurs.... et à l'amour de la culture en général. L'inégalité dès le berceau !!?? NON, NON, NON !!!
Mais que faire ?
J'ai eu la chance de découvrir, par l'entremise d'une collègue merveilleuse, les "albums langage" de Philippe Boisseau. Je les ai pratiqués dans ma classe avec un grand bonheur et une efficacité optimale. S'ils n'ont absolument rien de montessorien, je trouve qu'ils sont complètement complementaires du travail effectué avec les cartes de nomenclature (qui visent plutôt à acquérir du lexique) et les livres spécifiques (qui visent la construction de phrases à la troisième personne). L'album-langage (ou album "écho") permet à l'enfant de s'impliquer, de prendre la parole, de parler en "je"... et de progresser de manière spectaculaire.
Les albums-langage portent bien leur nom. Leur "texte" est un peu particulier et ne répond pas aux codes des albums de littérature. Le monde de l'écrit est un monde à part, dans lequel l'auteur s'exprime dans une alternance de passé simple et d'imparfait ; il affectionne les tournures déclaratives simples et les questions à inversion. On n'écrit pas comme on parle. Ce qui n'empêche pas que la lecture d'histoires est bien sûr fondamentale pour permettre de préparer le futur lecteur, et qu'elle joue d'ailleurs un rôle non négligeable dans l'apprentissage de la langue parlée.
Mais avec les albums-langage, il ne s'agit pas de donner à l'enfant un énième texte "écrit", mais un texte "parlé". Un texte que l'enfant aura d'ailleurs formulé lui-même, et que l'adulte retranscrit, en se contentant de le rendre correct et intelligible. P. Boisseau ne dit pas les choses comme cela, mais à mon sens, nous sommes en plein dans ce que Vygotsky appelle "la zone proximale de développement" : on fournit à l'enfant un énoncé qu'il ne peut pas encore produire sans notre aide, mais qui est, en quelque sorte, la marche juste après son niveau de compétence actuel, et qui correspond à ce qu'il sera capable de faire demain.
Bon, désolée pour le bla-bla technique. Vous l'avez compris : les albums-échos me passionnent, et voilà bien longtemps que je voulais en proposer un à Antonin.
Comment procéder ?
Il faut tout d'abord, cibler son objectif : que veut-on que l'enfant sache dire après le travail sur l'album ? On n'a droit qu'à un seul objectif par album, alors il faut bien bien bien connaitre le niveau de l'enfant en amont ! 😉
Un des objectifs classiques de la Petite section est "Apprendre à parler de soi en disant JE". On construit alors un album avec des photos de l'enfant en action, et on constitue les légendes en le faisant parler sur lui-même.
Antonin ne dit pas vraiment JE en parlant de lui, mais j'estime qu'il a le temps et que cela viendra sans doute tout seul. Dans le cas contraire, vous vous doutez de ce que je lui proposerai ! En attendant, je veux surtout consolider l'usage des prépositions. Par exemple, mon Damoiseau dit "jouer les cubes" pour "jouer avec les cubes" ou "coucher le lit" pour "coucher dans le lit". Les "derrière" et les "après" commencent à surgir, par contre, mais ils feront l'objet d'un travail plus spécifique un peu plus tard ! 😉
Une fois l'objectif défini, prenez des photos. Entre huit et dix, pas plus de dix. Choisissez un thème qui passionne votre enfant (ici : La P'tite vache et les activités quotidiennes).
Imprimez vos photos et disposez-les sur une table. Votre enfant va les découvrir en entrant dans la pièce, et cela va l'interpeller. Il va les prendre une à une et les en parler. Enregistrez toute la séance, et soyez très à l'écoute. N'hésitez pas à relancer l'enfant pour qu'il aille un peu plus loin ("Oh, mais qu'est-ce qu'elle fait là, la P'tite vache ? Et ça, c'est quoi ?", etc.). S'il y a des photos auxquelles l'enfant refuse de s'intéresser, jetez-les !
Ensuite, au calme, repassez-vous l'enregistrement et prenez-le en notes. Tel quel. Il est normal que cela donne des choses comme : "Oh, la P'tite vache. È 'amasse le ja'din, la P'tite vache. Eu, è arrose les fleu' l'arrosoir.". "La P'tite vache ramasse le jardin" n'étant pas un énoncé correct (?), il convient de le transformer. La légende devient :
L'élaboration des légendes est bien le plus difficile ! Il faut vraiment s'attacher à faire du sur-mesure. Même en partant des mêmes photos, chaque enfant doit avoir un album unique, dont les légendes ont été élaborées à partir de ses énoncés à lui et en vue de le faire progresser dans un domaine très circonscrit.
Reste à coller, plastifier, relier... Le tour est joué !
Et ensuite...
Ensuite, bien sûr, on lit l'album. L'adulte et l'enfant. L'adulte le lit à l'enfant, tel qu'il a été écrit, si l'enfant ne souhaite pas parler sur les images. Il incite l'enfant à s'exprimer sur chaque photo, on les décrit ensemble. L'adulte relance l'enfant discrètement si nécessaire par des questions. Lorsque l'enfant est capable de prendre l'initiative et de raconter l'image sans l'aide de l'adulte, l'adulte peut reformuler en s'aidant du texte écrit, mais sans jamais s'en sentir prisonnier. De toute façon, il s'attendre à ce que le niveau de langage évoluant, et la connaissance de la photo s'approfondissant, le discours produit par l'enfant au bout de quelques jours ne ressemble plus au texte initial... qui sert alors de témoin du progrès effectué !!
Puis l'enfant va peut-être vouloir présenter son album à d'autres personnes. A Papa qui rentre du travail, à Papi et Mamie qui viennent passer une semaine de vacances... Ou, bien sûr, dans le cadre scolaire, aux autres enfants de la classe. On peut filmer la performance, et monter le film à l'enfant, qui se perçoit alors lui-même comme orateur.
Quand l'enfant connait très bien son album, on peut ensuite proposer des petits jeux : l'adulte décrit une image, et l'enfant doit la retrouver. "Mmm... Où est la photo de la P'tite vache où elle joue avec les cubes ? Elle fait une tour avec les cubes. Sur la table du salon."
Puis, c'est l'enfant qui décrit une image, et l'adulte qui doit la retrouver ! 😉
On peut aussi confectionner un jeu de loto à partir des photos de l'album. L'adulte présente les photos une à une et si l'enfant l'a sur sa planche, il doit la raconter avant de la gagner. C'est plus rigolo à plusieurs, mais c'est adaptable à la maison en sollicitant les grands frères et soeurs... On peut choisir de proposer les planches en noir et blanc de façon qu'elles se colorient au fur et à mesure qu'elles se remplissent... Les enfants adorent !
Avec des plus grands, on peut aussi, dans le cadre d'albums plus narratifs (une recette de cuisine, par exemple), faire remettre les photos mélangées dans l'ordre. L'adulte étaye par des questions du type : "Qu'est-ce qui s'est passé avant ?", "Qu'est-ce qui va se passer après ?", etc. Ces albums peuvent ensuite servir de tutoriel quand on choisit de refaire la recette, par exemple.
Je ne sais pas si cela vous inspire, mais je vous laisse sur les autres pages du Livre de la Petite vache... en espérant que cela vous fasse sourire !
Ai-je besoin de préciser que c'est un vrai succès ? Même Louiselle le feuillette en s'écriant : "Chachache !" à chaque page... 😄
Magnifique... Quel boulot !
ReplyDeleteLes photos sont vraiment très "parlantes"...Tu as du bine t'amuser à mettre en scène la Petite Vache :-D
Bonnes séances de langage en perspective
j'adore ++++++++
ReplyDeletecerina
génial. J'adore. Bravo !
ReplyDeleteeuh.... Ouahou!!
ReplyDeleteAh, ça fait plaisir de voir la P'tite Vache :D
ReplyDeleteEn tous cas, c'est super, ça donne des idées...
J'adore les photos, tu as dû bien t'amuser :-)
ReplyDeleteC'est extra :-D
ReplyDeleteMerci à toutes !
DeleteEt oui : je me suis zé-cla-tée !!!
:-D
Merci pour cet article intéressant, je ne connaissais pas ce type d'album de langage. Je testerai avec mon petit quand son niveau de langage aura un peu progressé. Ca doit être un réel plaisir pour Antonin de feuilleter ce livre dont son doudou est le héros ! Et même pour toi, en tant que parent/éducateur, quel bel exercice de patience et de respect de l'enfant pour bien retranscrire ses paroles, au juste niveau de langage, qui respecte ses mots de petit mais dans un langage suffisament clair et juste pour le faire progresser !
ReplyDeleteCoucou Marie ! :-)
DeleteOui, c'est ce que que j'aime dans les albums-langage : la personnalisation optimale, l'attention à chaque enfant et à ses dires... :-)
Tu sais, si le concept t'interesse, il est généralement proposé tout au long de la maternelle, donc GS incluse : à ce stade, on peut travailler sur le discours au passé, la concordance des temps, etc. Il n'y a pas de limites, et le plaisir de l'enfant est généralement au RDV ! :-D
Bon courage pour tout, je continue de suivre vos aventures avec attention !
Faut vraiment que je me forme sur certains sujets, je n'ai jusqu'à présent enseigné qu'en cycle 3 donc il y a des choses qui sont évidentes pour une instit de maternelle expérimentée et que je ne connais pas du tout... Encore beaucoup de livres à ajouter à mes lectures prévues... Heureusement qu'il y a les bons blogs pour se mettre en chemin !
DeleteMagnifique! Vraiment bravo pour cet album splendide! Quelle belle idée!
ReplyDeleteMerci Sicosico !!
DeleteHéhé, l'idée n'est pas de moi, mais tu le sais !! :-D
Bon courage à toi, j'ai hâte d'avoir des nouvelles de ta "petite" : en France, elle aurait fait sa rentrée en Ps il y a quelques jours ! :-D
J'adore !! ça me fait penser à Popi mais avec le doudou héro c'est extra !!
ReplyDeleteJe prends note pour mes futurs élèves.
Reste pour moi à amener le doudou mouton sur un chantier car ce sont ces engins qui passionnent mon fils... Ils vont faire une drôle de tête au travail !!
:-)
DeleteJe trouve l'idée excellente... Et ils risqueraient de bien rigoler, les gars du chantier... Sûr qu'ils adopteraient le petit mouton comme mascotte ! :-D
Et bien elle en une vie sacrément bien remplie cette petite vache...!
ReplyDeleteJe ne connaissais pas les différents "types" de livres, vraiment très enrichissant. Merci pour ces précisions techniques! une petite question: ce sont des notions que l'on apprend quand on devient professeur?
Et autre question fondamentale... mais comment as-tu fait pour que la vache tienne bien droite...??? elle est toute "molle" j'imagine non...?
Bonjour Stéphanie !
DeleteEuh, oui, pour passer le concours, il me semble incontournable de se pencher sérieusement sur les spécificités de la langue écrite et de la langue parlée. Le PE est "prof de langage" et "prof d'écrit", alors...
(D'ailleurs, mon sujet de concours en français portait sur l'enseignement de l'oral en maternelle, c'est un grand classique).
Oui, la P'tite vache est toute molle !! Mais c'est une marionnette, alors il m'a suffit de l'enfiler sur une brique de bois pour qu'elle tienne droit ! :-D
C'est génial de faire ces albums echo... je l'ai fait en aide perso avec les élèves en difficulté de langage. C'est un réel succès. J'ai lu tout le livre de boisseau sur le langage et tu synthetises vraiment bien ce qu'il propose. Je n'ai jamais réussi à le faire à l'échelle d'une classe... 30 albums à construire individuellement, j'ai besoin d'une recette de mes conseillers pédagogiques...j'aime mon boulot... mais faut pas exagérer.
ReplyDeleteNawel parle vraiment tres bien pour son âge mais je suis certaine quelle adorerai, je dois bien trouver un objectif à travailler.. bravo pour cet artice!
Bonjour Alexandra !
DeleteOh, là, là, je suis bien d'accord avec toi, 30 albums-langage, quelle horreur... Comment faire de quelque chose de sympa un vrai calvaire !! :-)
Comme toi, je fais des albums dans le cadre de l'AP avec les élèves en difficultés langagières. Mais j'ai aussi testé des albums collectifs (dans une classe à triple niveau) qui racontaient les péripéties de la mascotte de la classe. Chaque photo était légendée 3 fois, sur 3 étiquettes de couleurs différentes : une fois par les PS, une autre fois par les MS, et enfin par les GS (dictées à l'adulte). Evidemment, les légendes, si elles racontaient la même chose, étaient bien plus riches et complexes en GS ; cela permettait de travailler des objectifs DE GROUPE, et dans une classe "qui tourne bien", c'était vraiment vraiment super !! La preuve : nous en avons fait 3 cette années-là, les élèves voulaient inventer la suite !! :-D
Et ils ont parlé, parlé, parlé... Vraiment super, te dis-je.
Bonjour,
ReplyDeletePour apprendre à parler à l'enfant on peut également utiliser les "histoires à parler" de Laurence Lentin qui se vendent sur le site de l'Asforel. C'est un excellent moyen de faire parler l'enfant lorsqu'il est prêt sur de courtes histoires très bien construites.
Peut-être les avez-vous déjà utilisées.
Sabrina.
Bonjour Sabrina !
DeleteEt bien non, je n'ai jamais travaillé avec les histoires de L. Lentin !
Mais dans le genre, il y a aussi les Oralbums et les Mini-oralbums de Boisseau (encore), et aussi une trentaine d'albums en syntaxe adaptée qui sont proposés dans chacun des livres de la série "Pédagogie du langage (pour les 3 ans/ Pour les 4 ans/ Pour les 5 ans)"... de Boisseau (encore).
Oui, je suis assez fan de son travail !
Merci pour le tuyau des albums de Lentin, je chercherai sans doute à me les procurer ! ;-)
La petite que je garde ne parle pas beaucoup. Elle a très souvent sa tétine dans la bouche et ça ne l'aide pas à faire des progrès. Son papa me dit qu'elle parle bien chez elle.
ReplyDeleteJ'ai découvert récemment qu'en fait, elle n'a tout simplement pas le même vocabulaire que nous!
Un exemple: elle dit "un miaou" pour dire un chat.
Je lui dis "le chat fait "miaou" mais on l'appelle un chat."...sans succès depuis février.
Ma gommette a commencé par dire "miaou" quand elle voyait un chat mais elle l'appelle par son nom depuis bien longtemps maintenant...
Aujourd'hui, cette petite a trouvé des cartes que j'avais caché dans un coin avant de les faire disparaître (cartes "hello kitty" reçues avec le dessert du menu enfant d'un resto cette semaine!) elle est venue me dire "ça c'est hello kitty!".
C'est la première "vraie" phrase qu'elle me dit.J'en déduis qu'elle connaît ce personnage et qu'elle est à l'aise avec! Et puisqu'elle a un doudou qu'elle ne quitte pas, l'idée d'un petit livre comme celui de la petite vache me parait être une excellente idée!
Reste un problème : approcher le doudou en question suffisamment longtemps pour pouvoir l'utiliser! ;-)
Coucou Angélique !
DeleteRappelle-moi : quel âge a cette petite fille ?
Est-ce que c'est la même chose que les "Oralbums", les albums-langage ?
ReplyDeleteSuper en tout cas !
Oui, Fanny, c'est exactement le même principe, sauf que dans le cas des albums-langage, c'est l'enfant qui est le narrateur. Le texte fait "écho" à son vécu propre. C'est en cela que je préfère ce support : c'est du sur-mesure, l'enfant est beaucoup plus investi, je ne connais pas un élève que cela n'ai pas fait parler, parler, parler !! ;-)
DeleteBonjour,
ReplyDeleteJ'ai découvert il y a peu votre blog qui est vraiment extrêmement intéressant, très riche et plein d’idées. J'en explore donc les archives à la recherche d'idée pour ma fille de bientôt 2.5 ans. Et celle là me plaît beaucoup.
Merci pour tout le mal que vous vous donnez pour nous faire partager votre expérience.
Merci LN ! :-)
Delete