J'ai reçu hier un commentaire à cet article-là auquel je me dois de répondre de façon assez complète, tant il est vrai qu'il a reçu beaucoup d'échos en moi... et chez d'autres lectrices, si j'en crois vos réactions ! Voici donc aujourd'hui un post assez technique sur le cheminement qui m'a poussé à proposer à Antonin des cartes sous la forme finalement choisie ; il s'agit bien sûr d'expliquer ma démarche et d'ouvrir la discussion, et non de proposer des réponses définitives à toutes ces questions qui, apparemment, nous trottent à toutes dans le crâne ces derniers temps ! 😉
Voici donc ce qu'écrit Sabrina (n'hésitez pas à aller lire son commentaire en entier !) : "Vos deux derniers articles concernant les cartes de nomenclatures ont fait ressurgir une inquiétude que je nourris depuis quelque temps déjà et que ce matériel montessorien n'a pas su dissiper, bien au contraire... Ce qui me perturbe, c'est cette fameuse "légende" sous les images qui conduit l'enfant à mémoriser la représentation écrite du mot puis à l'associer à l'image, plutôt qu'à effectuer un réel travail de déchiffrage."
Bon, quitte à justifier mon choix concernant les légendes de mes cartes, autant expliquer tous mes choix, n'est-ce pas ? ;-) Mais avant d'aller plus loin, je commence par un petit rappel de ce que sont les cartes de nomenclature, de la manière dont elles se présentent et de l'objectif qu'elles poursuivent.
Nous parlons ici des nomenclatures simples, qui abordent le lexique d'un thème de la vie quotidienne dans le but d'accroître le vocabulaire de l'enfant. On les emploie tout simplement, lorsque l'enfant a entre 2 et 3 ans, en l'engageant à en parler, à les décrire, voire à les comparer. La leçon de vocabulaire en trois temps n'est qu'un usage parmi d'autres : si l'enfant n'est pas prêt à en recevoir, il ne faut pas insister, mais ne pas se priver non plus de ce matériel qui est un merveilleux support de langage.
Voici un article devenu culte qui montre comment une maman montessorienne utilise ce matériel avec son enfant non-lecteur. Libellule utilise ici les cartes "officielles", pour reprendre le terme de Sabrina : chaque carte est tirée en double exemplaire. Le premier exemplaire est légendé (ce qui ne pose pas de problème, écrit Libellule, puisque l'enfant de cet âge ne semble prêter aucune attention à cette légende), le deuxième ne l'est pas ; on a découpé le bordereau légendé pour le conserver pour plus tard. Lorsque l'enfant sait lire, on reprend l'exercice précédent, mais en proposant cette fois les billets légendés, que l'enfant doit placer sous les cartes correspondantes lors de la mise en paire. Vous pouvez lire ce billet (non moins culte) toujours chez Libellule, pour assister à ce travail chez un enfant lecteur. Et vous verrez que dans l'utilisation qu'en font Libellule et sa fille, il n'y a aucun risque que l'enfant compare une légende à un quelconque "modèle", puisque les cartes renseignées ont été retournées contre le tapis ! 😉
J'imagine que, jusque-là , je ne vous apprends pas grand chose. Et comme vous, ce matériel a provoqué chez moi un grand questionnement.
Tout d'abord, je me suis très sérieusement posé la question de la nécessité d'un tel matériel. Bon, pour l'acquisition du vocabulaire, j'ai mes chers imagiers, et quant à la mise en paire, il est facile de proposer des petits jeux spécifiques à l'enfant. Et au-delà de la spécificité de ces cartes, je me suis aussi interrogée sur leur forme...
- Imagier ou nomenclature ?
En fait, j'ai toujours pensé les pages de mes imagiers comme des cartes de nomenclature. Il suffit d'ailleurs de les détacher (les anneaux ont des charnières) pour pouvoir les étaler sur une table. Néanmoins, il y a tout de même des différences.
La première différence, c'est que dans mes premiers imagiers, les pages avaient un ordre, puisque la légende correspondante à la photographie était située en vis-à -vis d'elle, et donc au dos d'une autre image. C'est ennuyeux, car un enfant non-lecteur ne lui-même ranger ces images pour les relier. C'est pour cette raison - entre autres - que mon dernier imagier ne comportait plus de légende. Si j'ai choisi de les réintroduire (j'explique ce choix plus loin), la forme de la carte de nomenclature me permet de faire figurer la légende sous l'image, et donc de faire tomber cette première difficulté.
J'ai ensuite tâtonné quant à la format de mes imagiers, mais aujourd'hui, je choisis de revenir à un grand format carré (avec de grandes photos qui permettent de visualiser les détails) et de normaliser la taille de mes illustrations et de mes légendes. Toutes mes cartes ont ainsi une unité, que renforce dorénavant le choix du papier blanc. Si mes enfants décident, lors de jeux ultérieurs, de ranger ensemble tous les objets rouges, ou tous les grands objets, la couleur du papier ou la taille de la photo n'interfèrera pas sur leurs choix.
Enfin, j'ai choisi de garder le système de reliure pour mes cartes. Antonin aime beaucoup feuilleter ses imagiers, je ne veux pas le priver de ce plaisir. Cela me permet du même coup de résoudre la question du rangement (et de m'éviter la fastidieuse fabrication de pochettes) et de laisser ces cartes à disposition de l'enfant dans une boite sans craindre d'en retrouver dans tous les coins. Enfin, cela renforce la dimension catégorielle : pour l'instant, tous les véhicules sont reliés ensemble, ce qui participe à la construction de ce concept. Et lorsque mes enfants seront capables de classer eux-mêmes ces images selon leurs propres critères ("On va mettre ensemble toutes les choses rondes", par exemple), il sera facile de relier leur production et de la conserver sous cette forme quelques jours (quelle fierté !!).
Conclusion : je n'ai donc pas vraiment tranché entre imagier et nomenclature ! ;-) Notons que pour l'instant, ces imagiers nouvelle génération n'ont pas de couvertures, mais que cela peut changer quand les catégories concernées auront un sens pour Antonin.
- Jeu de mise en paire ou nomenclature ?
J'adore les jeux de mise en paire. J'en propose plusieurs à Antonin, en alternance avec de petits lotos, qu'il aime beaucoup, et qui permettent de travailler des compétences similaires. Mais d'ailleurs, quelles sont ces compétences ? J'en avais déjà parlé ici : quand on propose à l'enfant d'apparier deux images identiques, il s'agit en fait de solliciter une compétence mathématique : des objets identiques sont équivalents. Et puisqu'on en parle, selon moi le meilleur jeu de mise en paire est celui que propose la Maman de Petit homme ici : il s'agit d'objets abstraits, ce qui corse la chose et aiguise le sens de l'observation !! ;-)
Or, je réserve mes cartes de nomenclatures à un autre usage, plutôt d'ordre langagier ; alors, des mises en paire, oui !, mais pas avec des objets identiques. Nous mettons en paire mes photos avec des objets réels ou d'autres images issues des livres. Il s'agit cette fois d'accéder au concept. Et les situations langagières se trouvent enrichies par l'exercice de la comparaison. À titre d'exemple, avec Antonin en ce moment, mes interventions donnent quelque chose comme cela : "Oui, ici nous avons une photo de banane, et là une banane de notre cuisine. Oh, tu as vu, celle-ci est un peu noircie ! Celle-là , on peut la manger, mais pas celle-ci. Et tiens, oui, tu es allé chercher ce livre dans ta bibliothèque car il y a aussi une image de banane... de plusieurs bananes, en fait. Ça s'appelle un régime, un régime de bananes. On compte les bananes du régime ?", etc.
Cette richesse langagière ne m'est pas permise quand il s'agit d'images identiques, personnellement, je suis vite à court de discours... Et voilà pourquoi, vous l'aurez compris, je n'imprime chaque carte qu'une seule fois. Pour le prix de revient et le temps passé à faire une paire, j'obtiens deux cartes différentes... donc plus de possibilités pour les petits jeux à venir !! 😉
- Légendes or not légendes ? Et en script ou en cursive ?
Venons-en à ces fameuses légendes. Bien qu'elles soient à mon avis totalement facultatives, j'ai tout de même choisi de les faire figurer. Pourquoi ? Je constate, comme Libellule, qu'Antonin ne semble pas les remarquer. Mais, à vrai dire, j'espère qu'un jour il le fera. Mon objectif n'est pas du tout de le faire entrer ainsi dans la phonétique (nous sommes toutes d'accord pour dire que les cartes de nomenclatures NE SONT PAS un outil pour apprendre à lire !), et c'est d'ailleurs pour cela que j'ai opté pour l'écriture cursive : la prise d'indices concernant les différentes lettres est beaucoup plus difficile quand l'écriture est "attachée". Le mot apparait à l'enfant non lecteur comme un ensemble continu (ce qu'il est, que ce soit dans la langue parlée ou dans la langue écrite).
Mais l'entrée dans la lecture n'est pas uniquement syllabique. Elle consiste aussi (et peut-être même avant tout) en une posture, une culture. C'est bien pour cela que nous lisons tous beaucoup de livres à nos enfants, sans craindre, je pense, qu'ils apprennent à lire spontanément sous prétexte qu'ils sont environnés d'écrit ? Malheureusement, d'ailleurs, ce serait bien plus simple pour tout le monde... ;-) Beaucoup de préalables à la lecture proprement dite sont d'ordre culturels : savoir tenir un livre, en tourner les pages, savoir repérer l'écrit dans la page, avoir l'intuition de ce qu'est une histoire, une phrase, un mot... Tiens ! Question à 1000 euros : Qu'est-ce qu'un mot ??? 😉
Le tout-petit comprend vers un an qu'un objet du monde correspond à une suite de sons parlés (son nom) ; vers 3 ans, il va comprendre qu'à une suite de sons parlés correspond une suite de lettres écrites. Vous n'imaginez pas le nombre d'élèves de CE1 pour qui la notion de "mot" est encore floue et à quel point cela dessert leur orthographe, leur expression écrite... et leurs compétences de lecteurs.
Allez, réponse à 1000 euros : un mot est une unité de sens. Et les cartes de nomenclature me paraissent être le support idéal pour parvenir à le comprendre dans la mesure où elles représentent justement des unités de sens. "Train", c'est une unité de sens. Et ma carte le représente de deux manières : avec une photographie et avec des lettres. Antonin ne se soucie pas beaucoup des légendes pour le moment, mais il lui arrive, lorsque nous feuilletons des imagiers, de pointer un mot écrit et de me regarder d'un air interrogateur. Je lui répond très simplement : "C'est le mot vêtement" ou "Il y a écrit vêtements". Cette réponse n'a pas l'air de lui paraitre étrange. Le jour où Antonin me pointera la légende "train" sur sa carte en me disant "C'est écrit train", je saurai qu'il a compris ce qu'est l'écrit et à quoi il sert... et l'heure sera venue de découper toutes mes légendes et de conserver les étiquettes ainsi constituées pour plus tard. Dans une progression idéale, ce genre de prise de conscience devrait précéder tout travail phonologique.
Et plus tard, bien plus tard, quand l'enfant sait lire, oui, on ressort ces étiquettes-mots qu'il s'agit cette fois d'apparier à l'image correspondante. Mais l'enfant ne dispose pas de "modèle", puisqu'il n'y a qu'un seul exemplaire de chaque carte ! Il faut être capable de lire le mot "poivron" pour réussir à le placer sous la photographie du poivron. Le danger de globalisation disparait.
Pour conclure, je dirai que je suis vraiment satisfaite de m'être lancée dans la fabrication de ces cartes. 2013 sera l'année des nomenclatures chez nous ! J'aimerai pouvoir en proposer le plus possible quand Antonin aura trois ans. Mais... pour quoi faire, me demanderez-vous ? Ceux qui connaissent les livrets Catégo et Phono de chez Hatier ont certainement déjà quelques éléments de réponse. Et pour les autres, ils devront attendre que nous en soyons là ! 😉
Dites-moi vite ce que vous pensez de tout cela !!