Lors de la première année
d’Antonin, nous nous sommes - simplement, allais-je dire - appliquer Ã
comprendre son désir et à remplir ses attentes, persuadés que nous
étions (que nous sommes) que cette attitude de totale disponibilité
parentale et cette rapidité de réponse lui permettait de mesurer la
force de ses moyens ; de là , il a jugé le monde bon ou mauvais. Et oui,
je suis convaincue que l’enfant dispose d’une année pour devenir
optimiste ou pessimiste, pour être confiant ou méfiant envers autrui !
Qu’est-ce qu’une année au regard de l’enjeu ! Il fut donc très important
pour moi de ne pas ménager ma disponibilité.
La seconde année, tout change, et
hélà s, tout se complique, surtout pour nous autres, les éducateurs.
Antonin a fort bien compris qu’il avait un pouvoir sur le monde, et
c’est une très bonne chose, parce que c’est vrai. Mais à présent, il
doit intégrer qu’il n’a pas TOUT pouvoir sur le monde (ni sur autrui),
sans quoi des comportements pathologiques de perversité et de
manipulation pourraient s’ancrer en lui pour la vie. Je sais, hélà s, de
quoi je parle, pour l’avoir vécu avec des membres de ma famille, ou
encore pour le constater dans mon travail. Nous voyons parfois arriver
des enfants de 3 ans qui sont des “enfants-rois”, complètement
désorganisés, tyranniques et… malheureux.
“Un enfant qui peut faire n’importe quoi sans
frein, sans loi, n’est pas un enfant libre : il est l’esclave de ses
défauts, qui apparaissent s’il ne vit pas dans des conditions favorables
(de même que la maladie peut arriver quand on n’a pas des habitudes et
une nourriture saines).” (Jeannette Toulemonde, Le quotidien avec mon enfant, Editions l’instant présent, 2010, p. 85).
Autant dire qu’en tant que parents, cela nous met
une pression monstre ! Je ne me rendais pas vraiment compte de cela
avant d’être maman. Car, croyez-le ou non, il est bien plus facile de
faire accepter la limitation de leur toute-puissance à 30 élèves qu’à un
seul fils ! Et oui, mes élèves, je les respecte infiniment en tant que
personnes, mais je ne les aime pas. Pas de pathos.
Je suis dans la sphère professionnelle. Je n’éprouve pas le besoin de
crier (et je n’ai bien évidemment pas le droit de les frapper !), je
garde la tête froide face aux conflits et aux tentatives de séduction,
j’applique la justice. Point.
Quelle différence lorsqu’Antonin se met à hurler
(ah, nous venons de fermer la porte de la cuisine dans laquelle il n’a
pas le droit de rentrer seul…) ! J’ai l’impression que mon propre être
se déchire ! J’ai l’impression d’entraver son développement ! J’ai
l’impression de le faire souffrir et cela me fait souffrir ! Pas
évident, dans ce flux d’émotions, de réagir de façon appropriée…
Jusqu’à présent, avec Antonin, nous avions organisé l’environnement
de façon à ce que les objets fragiles ou dangereux soient hors de sa
portée. Mais voilà , le temps arrive où cette installation n’est plus
viable : Antonin est à présent assez fort pour pousser l’ampli et entrer
dans la caverne d’Ali Baba. Ou pire, si nous le bloquons vraiment fort,
il monte sur le canapé (facile !) et se laisse tomber de l’autre côté…
tête la première ! Je l’ai rattrapé au vol il y a deux jours et j’en ai
encore des sueurs froides ! Il aurait pu se fendre le crâne !
Evidemment, il a senti mon émoi, et maintenant, à chaque fois qu’il
escalade le canapé, une fébrilité complètement disproportionnée le
prend… Il ne contrôle plus ses gestes, il menace de tomber,
j’interviens, il gesticule, hurle (de rire, souvent, ce qui m’agace
puisque j’essaie d’interdire…), le message ne passe pas, nous sommes
énervés tous les deux… et il recommence dans la seconde qui vient !
Je constate bien qu’à cet âge, il n’a aucune
conscience du danger (certains parents préconisent d’approcher une
flamme ou un couteau de la main de leur enfant pour apprendre le “c’est
chaud ! ” ou le “ça coupe ! “, mais je ne me vois pas…), ni de ce qui
est permis ou pas. Bien sûr, c’est évident qu’il ne faut pas toucher au
four brûlant ! C’est évident pour moi, pas pour lui. Et soudain, il a la
surprise de me voir réagir par des froncements de sourcils, de gros
yeux, voire des cris (c’est nul, je sais…). Réaction du Damoiseau : “Tiens, j’ai le pouvoir de provoquer ces manifestations rien qu’en tendant la main vers le four ? C’est amusant. Vite, recommençons pour voir si ça marche à tous les coups !”
J’ai beaucoup réfléchi à l’attitude à adopter
à ce stade de son développement, et voilà mes conclusions.
Puissent-elles aider d’autres parents qui passent par ce cap difficile !
Et bien sûr, j’apprends toujours énormément de vos témoignages !
1. D’abord, réorganiser l’aménagement
(encore et toujours). Bien faire la part des choses : oui, la cuisine,
c’est dangereux (la porte reste fermée). Par contre, la caverne d’Ali
Baba est ouverte quelques heures par jour. Et finalement, je constate
qu’Antonin n’y fait pas tant de bétises que ça (pour le moment, il n’a
jamais dérangé les livres, ni embêté les plantes). C’est comme si ses
forces croissaient proportionnellement à sa raison : il peut à présent
entrer dans cette partie de la pièce, mais il n’y fait plus les mêmes
bétises qu’il y a six mois. J’essaie de lui donner quelque chose
d’intéressant à explorer : en ce moment, c’est un petit bol rempli de
médiators, de cordes de guitare, etc. qui le fascine. Et ce n’est pas
dangereux.
2. En règle générale, j’essaie de détourner son attention
de l’attitude que je veux éviter. Il est monté sur le canapé, très
excité, et caracole au risque de tomber ? J’explique à Antonin que je ne
suis pas d’accord pour qu’il fasse cela, et je quitte la pièce et vais
dans sa chambre, en laissant la porte grand ouverte. Je vous préviens,
ça suppose d’accepter des battements de coeur… Mais deux secondes plus
tard, Antonin est avec moi, complètement calmé (puisque c’est le fait
d’être sur le canapé qui l’excite). En fait, il s’agit ici de faciliter
l’obéissance de l’enfant en lui proposant quelque chose de plus
intéressant à faire. C’est moins épuisant et plus efficace, et de toute
façon, gardons à l’esprit qu’avant deux ans, le “permis” et le “défendu”
sont des notions complètement extérieures à l’enfant. Lorsqu’Antonin
grimpe sur le canapé et gesticule, il est poussé à le faire, et il ne se pose pas la question du pourquoi ni du comment !
3. Antonin me frappe ! Je suis une Maman battue !
Evidemment, chez le tout-petit, c’est expérimental, et je sens bien
qu’il exprime ainsi son amour dévorant (tout comme les enfants qui
mordent). Mais c’est extrêmement douloureux à vivre, surtout quand on
est exténué… Mon reflexe, c’est de crier NON en faisant de gros yeux,
puis à m’éloigner. Bon, ça ne s’est pas révélé super-efficace, puisque
le Damoiseau recommence la première occasion (et semble ravi de me
donner une baffe, comme s’il m’embrassait !). J’ai décidé de tester une
autre méthode : je respire un grand coup, je dis STOP, et je lui saisis
la main pour lui montrer comment caresser ma joue. Et je dis “Tu
caresses… Caresse…”. Je me dis qu’ainsi j’inscris le bon geste dans son corps.
Et puis, il faut se dire que ce n’est qu’une phase… dont on dira plus tard que c’était “l’âge mignon” !!!
P.S. Encore un (trop) long article… J’essaie de me soigner, mais en attendant, merci à tous ceux qui me lisent jusqu’au bout…