Pour des raisons professionnelles, j’ai révisé un peu cette question des étapes de l’acquisition du langage. Il va sans dire que cela m’a d’autant plus passionnée que je suis Maman. Et puis, je me dis que je saurai quoi répondre à la doctoresse si elle m’embête à nouveau pour savoir quels sons produit mon bébé !
“Parler” est une activité hautement complexe ; on peut (très artificiellement) la disséquer en quatre compétences :
L’acquisition de phonèmes :
- La perception commence avant la naissance, dans le ventre maternel. Les 3 derniers mois de grossesse, le bébé in utero reçoit de nombreuses stimulations auditives et langagières, ce qui explique que dès sa naissance, il soit capable de différencier la voix de sa mère des autres voix ; de même, il a des réactions différentes suivant qu’il entend sa langue maternelle ou une langue étrangère.
- La phase de production : le nourrisson produit d’abord des cris, des pleurs, des sons végétatifs (toux, renvoi, déglutition) : ce sont des formes élémentaires et inorganisées d’activité vocale.
- Le babil apparaît approximativement à la fin du deuxième mois, en situation de confort (cette phase coïncide avec le sourire). A la naissance, l’enfant a la possibilité d’apprendre n’importe quelle langue, mais peu à peu l’entourage exerce son influence : dès 6 mois, les enfants chinois utilisent des variations tonales originales ; tous les bébés privilégient les intonations phrastiques et les accentuations qu’il entendent. Si vous avez vu le film Bébés, peut-être vous souviendrez-vous de cette petite japonaise qui babillait … en “japonais” ? Généralement, dans les différentes langues étudiées, le a inaugure les voyelles, le p et le m les consonnes - ce qui explique la production précoce et attendue par les parents de mama et papa.
- La différenciation progressive des phonèmes est très rapide après 18 mois. L’ordre d’acquisition varie d’un enfant à l’autre dans la même langue. Les enfants procèdent pendant longtemps à des simplifications : ouvi pour ouvrir, femé pour fermé, toup pour soupe, ou à des redoublement : tétère pour pomme de terre.
L’émergence de la référence :
Avant le premier mot, le bébé commence à signifier par des sons (vers 9 mois) : par exemple [iiii] quand il a plaisir à voir quelqu’un, ou [eeee] pour attraper un objet lointain. C’est le début de la manifestation de la fonction symbolique : une unité signifiante est à la place de l’objet et permet de l’évoquer même en son absence !
Vers 10 mois, on observe l’émission de formes stables qui résultent de la répétition d’une même syllabe : dadadada, papapapa ([p] et [m] sont des labiales, celles dont l’émission est le plus visible). L’adulte guette l’apparition des premiers mots et isole, émerveillé, une séquence qui, pour lui, est signifiante (”maman” ou “papa”, généralement !!).
Puis s’opère la différenciation du lexique : 20 mots environ au milieu de la seconde année (par exemple coucou, oui, non, au revoir, encore, d’accord …). Le rythme d’acquisition s’accélère alors : 250 mots à deux ans, 450 mots à deux ans et demi, 900 à trois ans, etc., avec, bien sûr, toutes sortes de variantes individuelles.
Une des caractéristiques de ce système lexical est que les formes phoniques produites sont souvent approximatives : l’enfant dira [tisa] pour “petit chat“. De plus, le référent n’est pas toujours le même : papa désignera parfois le vrai papa mais aussi d’autres adultes de l’entourage !
La syntaxe :
Le mot-phrase est un mot seul qui représente une phrase et que l’on interprète. L’enfant peut montrer le journal et dire : “Papa” : il ne s’agit pas d’une dénomination mais d’une mise en relation entre deux éléments. Papa prononcé avec une intonation interrogative peut signifier : “Je ne vois pas Papa”. Le sens varie en contexte : Bobo peut signifier la marque encore rouge présente au bout du doigt, un bobo plus ancien ou l’objet qui a fait mal.
En général entre 18 et 24 mois apparaît l’énoncé à deux mots qui permet de commencer affronter la complexité et la richesse du monde à exprimer. Les deux mots s’organisent sémantiquement autour d’une seule relation : bébé mange (agent-action), “Papa buiau” pour “Papa travaille dans le bureau (localisation), “Tauto bébé” pour “l’auto de bébé” (possession) … L’énoncé à trois mots et plus permet d’exprimer plusieurs relations : “Papa pati tauto” pour “Papa est parti en auto” (agent-action-instrument).
Les acquisitions morphologiques :
Entre deux et trois ans, l’enfant repère des régularités morphologiques, il devient grammairien et produit des formes par analogie (metter pour mettre ; pleutre pour pleuvoir). Vers trois ans, l’enfant commence à objectiver ces règles : il repère, par exemple, qu’on dit gentil pour un garçon et gentille pour une fille.
Après ce stade, on ne peut plus décrire linéairement les apprentissages car le langage explose et se complexifie.
Bonjour,
ReplyDeleteje découvre votre blog (à la recherche d'infos sur Montessori) et ce billet en particulier (qui n'est pas spécifique Montessori!)
Un grand MERCI pour avoir expliqué et "imagé" en quelques lignes l'évolution du langage chez un tout petit.
Je retrouve complètement ma fille (21 mois actuellement) dans cette évolution et c'est toujours très intéressant pour moi de comprendre ce qui se passe dans sa petite tête!
Bref un grand merci et au plaisir de vous lire...!
Merci, Stéphnie !
DeleteCe petit retour me fait bien plaisir ! ;-)
C'est marrant cette histoire de "Généralement, dans les différentes langues étudiées, le a inaugure les voyelles, le p et le m les consonnes - ce qui explique la production précoce et attendue par les parents de mama et papa."
ReplyDeleteJ'ai tellement l'impression que c'est tout le contraire ! Je veux dire, c'est parce que l'enfant prononce en premier le "a", le "m" et le "p" (ou le "b" ressemblant au "p" pour les parents) que les parents s'appellent "mama" et "papa". Les "premiers parents" ont pris les "premiers mots" de leurs enfants pour s'auto-nommer ce qui explique que dans bien des langues ce sont ces mots là où des mots ressemblants qui sont utilisés.
C'est parce qu'entendant leur bébé gazouiller "mamamama" leur mère est accouru que l'enfant à continuer à l'appeler ainsi par la suite, puis cela fait, l'enfant a appeler "papapapa" et c'est son père qui est venu, puisque "mamamama" était devenu réservé pour sa mère. Du moins c'est ainsi que je l'imagine.
Je doublonne le commentaire pour un plus personnelle.
ReplyDeleteMa fille à 9 presque mois ne semble pas encore avoir mis des sons particuliers sur les objets/choses (sauf peut-être ka pour le chat), par contre elle "dadadatise" depuis ses 6 ou 7 mois !
Merci pour ces explications très claires ! C'est tellement rigolo de voir apparaître les premières syllabes. Mais il y a des sons qui n'existent dans aucun mot français chez nous ("rrrrrrhhhôôô" par ex) alors que c'est mignon :-)
ReplyDeleteDepuis quelques temps, ma fille fait des associations de mots (mais en signe), ainsi lorsqu'elle fait : encore + marionnettes on sait qu'elle veut une chanson :)
ReplyDeleteC'est magique lorsqu'elle fait juste "encore" et qu'on lui dit : "oui mais tu veux quoi" et qu'elle ajoute alors le "mot manquant" (en général : marionnette ou boire ou elle pointe un objet qu'elle veut toucher/jouer avec)
Et puis depuis peu, elle fait : "didi" pour son doudou, mais aussi pour tout ce qu'elle aime (moi, le chat, les jouets du moment) :)
Allez je m'arrête là pour aujourd'hui. J'ai survolé tout le reste mais celui-ci était très intéressant. Merci pour ces explications!
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